Les mondes les plus différents

Femme, ce n’est pas moi le problème

Ces scènes récentes de la vie quotidienne démontrent que non, les femmes n’ont pas encore atteint les mêmes droits que les hommes. Alors il n’est pas question de cesser de protester, d’en parler et de les réclamer. Par MARINE SEGURA

Je suis féministe parce que je veux pouvoir lire dans un parc sans me faire agresser, parce que l’espace public n’appartient pas à quelques brutes qui profitent de leur taille, de leur genre, pour m’en chasser.

Je suis féministe parce qu’encore aujourd’hui, quand je sors dans les rues de Paris, je ne me sens pas en sécurité. Pas parce que mon salaire sera sans doute inférieur à celui de mes collègues masculins ou parce qu’il me semble essentiel de faire disparaître le mot « mademoiselle ».

Ces derniers temps, j’ai eu la sensation que beaucoup de mes interlocuteurs voulaient remettre en question mon engagement, parce qu’il n’était plus nécessaire. Et dans mon quotidien à cent à l’heure, la musique à fond dans mes oreillettes orange et le pas rapide, j’avais oublié.

J’avais oublié, un peu connement, que quand je sors faire du sport, c’est évidemment pour exciter le désir pervers d’hommes de soixante ans ou plus, qui se baladent le casque de scooter au bras, me demandant si je suis russe et si j’ai « chaud » sous 27°C. Pour exciter le désirs pervers de pauvres types qui me suivent dans la rue, et répètent encore d’un air vicieux « vous avez chaud hein ! ». Et le premier qui viendra demander comment j’étais habillée pourra aller observer les hommes au parc Montsouris à Paris. J’avais la décence de porter un t-shirt et un short, c’est plus que la plupart d’entre eux !

J’avais oublié que j’étais tout ce qu’attendait cet homme qui s’est allongé à côté de moi au parc en bas de chez moi, alors que j’étais en train de lire. Quinze minutes. Quinze minutes ! C’est le temps que j’ai eu avant qu’un homme, en état d’ivresse magistral, vienne me dire que j’étais tout ce qu’il attendait dans la vie. C’est mignon hein ?

J’avais oublié que ça ne pouvait pas s’arrêter là, que sous prétexte qu’il me parlait, je devais répondre, sourire, être gentille et lui donner tout ce qu’il pouvait vouloir.

« J’ai envie de t’embrasser », trois fois, en hurlant.

Et quand je dis non : « Il faut bien que tu me donnes quelque chose ! », trois fois, encore, en hurlant, fou, menaçant, de moins en moins compréhensible.

J’avais oublié la peur, les tremblements que ce genre d’homme fait naître dans mes mains, l’angoisse et l’absolue impossibilité de lever la tête, de chercher de l’aide du regard, parce que la honte se distille lentement dans mon esprit. Et si c’était moi ? Allongée, là, sur l’herbe, comme les autres, qui était responsable ? Et si c’était moi le problème ?

Je suis féministe aussi parce que pour la première fois, quelqu’un s’est levé et a demandé à cet homme de me laisser tranquille, d’une petite voix pas très assurée mais tellement importante.

Je suis féministe parce que si à chaque fois qu’un homme agresse une femme, un autre se lève et décide que c’est inacceptable, alors peut-être qu’un jour, je pourrai aller au parc profiter du soleil au lieu de rester enfermée dans mon appartement.

Parce que même si je suis féministe, j’ai eu peur, et j’ai couru chez moi après avoir remercié le (très) jeune homme qui est intervenu. Plus jeune que moi, que tous les gens autour, qui n’ont pas bougé mais qui regardaient avec une sorte d’angoisse mêlée de fascination la scène ridiculement violente, bien qu’uniquement verbale (comme si ça en diminuait la gravité !) qui se déroulait sous leurs yeux.

Ne pas culpabiliser

Je suis féministe parce que j’ai envie de croire que la prochaine fois, je parlerai plus fort, je dirai encore plus rapidement que je veux lire en paix, et surtout, surtout, que je ne serai pas celle qui quittera le parc et qui se sentira humiliée. Mais plus que tout, j’espère qu’il y aura quelqu’un pour me soutenir, un inconnu ou une inconnue qui n’aura pas envie de regarder une jeune femme se faire agresser dans un parc sans rien dire, et que la personne qui est intervenue aujourd’hui interviendra pour d’autres, que j’interviendrai encore, moi aussi.

Je suis féministe parce que je pense qu’on devrait tous pouvoir profiter de l’espace public de la même façon et ne jamais se sentir responsable ou humilié par une agression. C’est toujours une histoire d’égalité, pas de victimisation revancharde contre la population masculine…

Alors voilà, je suis féministe. Et j’aimerais qu’on arrête de jouer à ce petit jeu qui consiste à faire croire que les femmes n’ont plus besoin de se battre pour leurs droits alors que leur liberté d’aller et venir est mise en danger si souvent, que leur sécurité n’est jamais garantie parce qu’un homme, trop souvent un homme, peut surgir et s’approprier leur corps, entrer dans leur espace vital ou simplement décider qu’elles ne peuvent porter tel vêtement, tel rouge à lèvres, lire ou faire du sport. 

Marine Segura

Illustration : L’oppression des femmes. | Libre de droits

Commentaires (1)

  1. PETREQUIN

    samedi 17 juin 2017 21 h 58 min

    Bel article ; encore tellement vrai malheureusement.

    Répondre

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