Les mondes les plus différents

« Je n’ai pas voté depuis 1981 »

Jean-Pierre, 55 ans, est demandeur d’emploi depuis 2011 après avoir travaillé pendant vingt ans comme secrétaire dans un hôpital à Strasbourg. Il ne votera pas à la prochaine élection présidentielle. Entretien.

L’allocation spécifique de solidarité, 488 euros par mois, et l’aide d’associations sont ses seules ressources depuis plusieurs années. En fin de mois, il lui arrive de connaître la faim, mais ne se plaint jamais. Il est aujourd’hui hébergé par un couple de retraités, catholiques, dans la campagne alsacienne. Sociable, sportif malgré sa silhouette frêle, il a réussi un examen l’année dernière pour tenter, non sans difficultés, de se reconvertir dans le transport de marchandises.

Il ne s’est jamais engagé dans aucun parti politique. Est-il représentatif d’une partie des 1,2 millions de personnes au chômage depuis plus d’un an ? Possible. L’âge moyen de l’électeur en France se situe autour de 55 ans, c’est justement l’âge de Jean-Pierre. Avec son BTS en poche, il est aussi proche du profil du Français moyen par le niveau de diplôme.

Revue Pierre : Tu as regardé les débats entre les candidats à la présidentielle ?

Jean-Pierre* : Non. Je n’ai même pas écouté à la radio.

Comment vois-tu cette campagne électorale ?

Je ne sais pas trop, je suis indécis. À mon avis, je pense que Macron serait le plus apte à tenir le poste. Il est au-delà des clivages gauche-droite : je pense qu’il a sincèrement envie d’aider son pays. Valls lui a apporté son soutien. Mais c’est compliqué, parce que Valls avait signé un accord comme quoi il soutiendrait le candidat qui sortirait de la primaire du PS, mais il a trahit sa parole. Mais s’il ne l’a pas respecté, c’est qu’il avait des raisons. Il y a des gens qui n’ont pas été corrects avec lui alors il se rallie à Macron.

C’est une campagne présidentielle très compliquée. Il y a beaucoup de candidats impliqués dans des affaires de malversations financières, alors les gens sont un peu indécis. Les gens qui vont voter le 23, je ne sais pas comment ils vont voter. Et puis il y a une question de confiance. Les gens qui ont voté pour Fillon à la primaire des Républicains, l’affaire éclate après : les gens vont y réfléchir à deux fois avant de lui apporter leur soutien.

« Il n’y a aucun candidat qui, pour moi,
est à la hauteur de ce qu’on attend »

Sincèrement, il n’y a aucun candidat qui, pour moi, est à la hauteur de ce qu’on attend. Macron, je pense que c’est un mec qui est très sincère, mais le problème, c’est qu’il est jeune. Il n’a pas beaucoup d’expérience, et je pense que le fait qu’il soit anti-clivage droite-gauche, il y a beaucoup de gens qui vont essayer de s’opposer à lui. Son point de vue est tout à fait légitime, mais la France, ça a toujours été les combats droite-gauche.

Les gens en ont marre de ces clivages, c’est légitime. Les femmes et les hommes politique, tu les vois à la télévision, ils se vouvoient, ils veulent se donner une image vis-à-vis de la population, mais quand ils sont entre eux, ils se connaissent, il y a beaucoup de gens qui ont fait l’ENA, qui ont fait les grandes écoles ou Polytechnique.

Un exemple. Tu prends Fillon, pourquoi il veut arriver au pouvoir ? Il ne faut pas se leurrer, ils ont la soif de pouvoir : ils ont tout fait pour arriver là où ils en sont. Ils ont tous, à un moment donné, eu des comportements qui n’étaient pas honnêtes. Pour eux, atteindre le pouvoir est une fin en soi.

Il y a un candidat que j’aimais bien, mais il a été éliminé. C’était Arnaud Montebourg. J’ai lu quelques articles sur lui, et je pense que c’est un homme intègre. Je peux me tromper. Mais je pense que l’intégrité doit passer avant ses intérêts.

Pourtant, Montebourg et Macron ne sont pas sur la même ligne. Sur quel critère juges-tu un bon président ?

Bien sûr qu’ils n’étaient pas d’accord ! Mais Montebourg, c’était pas un arriviste, je pense qu’il avait un grand projet pour la France. Et il est proche des gens. Mais les gens n’en ont pas voulu. Il n’était pas d’accord avec Hollande, il a démissionné. Il l’a fait avec humilité. Macron, c’est un peu la même chose. C’est quand même paradoxal : Montebourg était à l’Economie, et qui l’a remplacé après ? Macron, qui a démissionné après.

« Les gens ne s’y retrouvent pas »

Aujourd’hui, tu ne te sens pas représenté ?

On dit que la France est un pays démocratique, mais regarde ce qui s’est passé en 2002, au soir du 1er tour, Jean-Marie Le Pen est sorti au premier tour, on a dit « il ne faut absolument pas que Le Pen soit élu ». Pour moi, c’est un principe anti-démocratique. Je ne fais pas d’amalgame entre la droite, l’extrême-droite et la gauche, mais il ne faut pas imposer aux électeurs le vote. À quoi ça rime qu’une personne vote Jospin et après, on lui demande de voter Chirac ? Les gens ne s’y retrouvent pas.

Si tu as des idées définies pour un parti politique, on ne peut pas te les faire changer parce qu’il faut éviter absolument que le Front national arrive au pouvoir. Je ne veux pas être pessimiste, mais on est dans la même configuration.

Que penses-tu des autres candidats ?

Hamon, je ne veux pas dire que c’est un mauvais candidat, mais il n’a aucune chance. Son problème, c’est qu’il n’est pas connu.

Quand tu vois tout ce qui s’est passé, les histoires de malversations du Front national, de Fillon. Mélenchon apparement, il est correct, Hamon aussi. Comment veux-tu que les gens aient des points de repères quand on entend tout ce qui se passe ? C’est ça le problème, les gens sont déboussolés. C’est le résultat de tout ça. La situation économique aidant… Les gens ne sont pas dupes. Il faut absolument pas que Fillon arrive au pouvoir, c’est mon avis, parce que sinon, on sera dans une situation encore pire, parce qu’il va avantager les riches. Qu’est-ce qu’il va faire pour les pauvres, pour les gens comme moi ? On n’a pas de travail. Quand tu penses que ce mec veut supprimer 530 000 postes de fonctionnaires. Il veut supprimer l’ISF ! Il veut avantager les riches.

Comment tu différencies la droite et la gauche ?

Sincèrement, j’en sais rien.

Si Marine Le Pen était élue, tu penses que cela pourrait avoir des conséquences importantes ?

Je n’ai pas écouté son programme, mais peut-être. Si elle arrive au pouvoir, elle va faire le ménage. C’est peut-être ce que beaucoup d’électeurs attendent. Au point de vue migratoire, si Marine Le Pen arrive au pouvoir, ce ne sera pas une politique totalitariste, mais ce sera une politique extrême. En tant que Français, on continuera d’avoir une couverture sociale, mais les gens qui sont immigrés, ce serait une politique proche de celle de Donald Trump. Une politique de protectionnisme.

Si Fillon arrive au pouvoir, il n’y aura pas de différence avec Le Pen : il veut faire des économies sur tout. Sa promesse de supprimer des fonctionnaires, il ne va pas les remettre pour intégrer les immigrés.

La dernière fois que tu as voté, c’était quand ?

(Soupir.) Je devrais avoir honte de le dire… 1981. Cela n’empêche pas que je sois un citoyen comme un autre, j’ai mes idées. Je regarde ça de loin, parce que ça m’agace un peu. Je vais te dire, c’est peut-être un peu égoïste, mais en ce moment, je pense m’en sortir. Moi, je fais tout pour essayer de m’en sortir. Parce que c’est important pour moi de retrouver une position sociale. Et, la politique, je suis à des années-lumières de ça.

Propos recueillis par Raphaël Georgy

*Le prénom a été changé.

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