Les mondes les plus différents

La campagne du petit monde de la culture parisien

Sur son petit nuage, le monde de la culture à Paris s’organise de réunions en rassemblements pour faire barrage au Front national. Par MATHIAS JORDAN

Non, je ne vous parlerai pas du Salon de l’agriculture, ni des Champs Elysées piétonnisés ou du nouveau parc des quais de Seine. Non, je ne vous parlerai pas de ces nombreux articles de blogs qui fleurissent avec le printemps pour vous donner les bons plans afin de s’évader de la capitale à l’occasion des ponts de mai. Mais Dieu sait qu’on en a besoin, car la campagne électorale nous aura tellement épuisée et obnubilée que l’air de Paris en sera devenu étouffant.

De même, les expositions actuelles sur le Street Art ne nous feront pas moins penser aux murs recouverts d’affiches déchirées ou détournées, de slogans, de poteaux maculées de Post-it vous exhortant à voter pour l’un ou l’autre. Ou aucun des deux.

Enfin, qu’il est fatiguant d’être invité à ces réunions et ces rassemblements citoyens anti-système, anti-FN, pour la démocratie. Et surtout : ces rassemblements sont bien souvent eux-mêmes sectaires, ponctuels, limités.

J’en veux pour preuve le rassemblement du mardi 2 mai à la Cité de la Musique, Porte de Pantin. Le monde de la culture a organisé un genre de meeting contre le FN, une petite réunion bien entre-soi, à l’appel des associations de défense des droits des intermittents, des artistes, du cinéma d’auteur, du théâtre privé, du théâtre public, des syndicats de telle ou telle profession culturelle avec des sigles tous plus originaux les uns que les autres. Une liste interminable d’acronymes en somme, très déshumanisés, très snob, qui aura su remplir une salle de mille places.

Nuage parigot

La culture parisienne était donc à l’honneur chez elle, entre elle. Le petit plaisir de rester assis à écouter quatre heures durant les prises de paroles désorganisées des participants qui croyaient tous au pouvoir de la culture et de l’éducation, de la liberté.

Et pourtant, cet apéro prolongé entre bobos et institutionnels qui vivent sur le nuage parigot ou dans la bulle francilienne n’aura mené à rien. Citoyen certes, mais pas grand public. Un moment simple dans la campagne et une dépêche AFP plus tard, tout est oublié, les cultureux se retrouveront à Avignon cet été et manifesteront leur mécontentement.

La chroniqueuse de France Culture l’a bien expliqué le lendemain. Au fond, ce n’était pas un débat, les idées d’Emmanuel Macron ont été sifflées l’une ou l’autre fois. Mais le FN était détesté. Que dire alors, quand on voit que Paris a voté pour le candidat de « En Marche ! » et à moins de 5 % pour la monstrueuse Marine ? Eh bien, simplement que ce monde de la culture protégé a avant tout été derrière Mélenchon. Nombreux sont mes collègues qui parlent de ceux qui, dans leurs entourages, hésitent à présent entre le vote blanc et le week-end prolongé à la campagne par déception et parce qu’ils ne se retrouvent ni dans l’un, ni dans l’autre des candidats.

Paris est rouge. Et non vert.

Voyons un peu les expositions du moment. Aux Invalides (alias le Musée de l’Armée), c’est la guerre de 1870 et l’opposition entre la France et l’Allemagne qui est à l’affiche. L’affiche précisément : une vue d’une des avenues de l’Etoile avec barricades et arbres décharnés. Paris a été au centre de la résistance à l’envahisseur, le cœur de la révolution, là où la gauche socialiste (la vraie !) a résisté jusqu’au massacre.

Comme pour faire le pendant, la Mairie de Paris propose une exposition sur le gouvernement des Parisiens — et donc la Commune de 1871 — à l’Hôtel de Ville. Ironie de l’histoire quand on sait que ce bâtiment a été incendié par les Communards, bâtiment qui les célèbre désormais. La gauche parisienne se rappelle de ses grandes heures.

Commémorations ou espoir que l’inconscient collectif puisse trouver dans ces événements des idées et des raisons pour (re)prendre les armes contre des réactionnaires ? Rappel qu’il fut un temps où Paris à l’avant-garde s’est opposé à la France, comme un îlot utopiste au milieu de l’Hexagone ?

Au fond, les politiques parisiens eux-mêmes sont comme ce monde de la culture qui se regarde et s’affiche dans ses références et ses histoires. J’en fais partie, moi qui ne dépasse le périphérique que pour me jeter dans une salle de théâtre ou jeter un regard distant et hautain sur la province. La province précisément, ce concept vague qui signifie : tout sauf nous, Paris.

Et surtout, ce concept qui marque la distance par rapport à la vie parisienne frénétique. Un rythme de vie et des attentes différentes, des préoccupations et un cosmopolitisme qui vous marquent : à Paris, une majorité des habitants n’est pas parisienne, nous y sommes tous des « étrangers ». Peut-être est-ce pour cela que l’on a du mal à voter Front national.

Mathias Jordan

Photo : Rassemblement du monde de la culture à la Cité de la Musique à Paris, le 7 mai 2017. / Photo @EnMarcheCulture

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