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Pourquoi la présidentielle n’est pas faite pour débattre

Si l’on parle davantage des charmes et des vices personnels des candidats à l’élection présidentielle plutôt que de leurs projets pour redresser la France, c’est parce que ce scrutin n’est pas conçu pour accueillir des débats d’idées. Par ROMAIN MILLARD

«L’élection présidentielle est la rencontre d’un Homme et d’un peuple. » Pour galvaudée qu’elle soit à force d’être reprise à tort et à travers, la formule du Général de Gaulle n’en demeure pas moins pertinente pour résumer la fonction de ce scrutin. L’élection présidentielle est une affaire de personnes, ce qui en soi n’a rien de déshonorant. En revanche, ce n’est pas, et cela n’a jamais été la rencontre d’un programme et d’un peuple.

L’objectif de l’élection présidentielle est le même que celui d’un entretien d’embauche dans une entreprise : sélectionner la personne la mieux à même de remplir une fonction. Or, lors d’un entretien d’embauche, les candidats sont questionnés sur leur parcours, leurs qualifications, leurs aptitudes, eu égard aux tâches qu’ils auraient à accomplir. S’il leur est demandé de connaître l’entreprise qu’ils souhaitent intégrer, il ne sont presque jamais interrogés sur leur stratégie globale pour le travail qu’il auront en charge. Cette question est abordée en d’autres temps et d’autres lieux.

Avec cette image à l’esprit, il est aisé de comprendre pourquoi les candidats à la magistrature suprême sont de plus en plus interrogés – et attaqués – sur leurs qualités personnelles, leur parcours, leurs références, leur mode de vie, leurs conflits d’intérêts, etc…

Hystérie collective

Cet examen par l’opinion publique tourne aujourd’hui, certes, à l’hystérie collective. La jalousie, passion triste la plus puissante en démocratie (lire De la Démocratie en Amérique, de Tocqueville), est excitée par la profusion de scoops journalistiques et leur diffusion instantanée par les réseaux sociaux.

La conséquence la plus néfaste est que le tri ne se fait plus entre une révélation sur un candidat – ou son entourage – qui relève de l’illégal (soupçons d’emploi fictif, conflits d’intérêts), de l’immoral (emploi familial légal mais surpayé), et du personnel (vie sexuelle et familiale, religion, rapport à l’argent). Tout n’est que scandale, chacun veut jeter la première pierre, condamner avant de juger, ironiser avant d’examiner. Il n’y a qu’une seule posture possible : l’indignation.

En tout état de cause, cet entretien d’embauche n’est, par nature, pas conçu pour le débat d’idées, qu’il soit conduit à l’occasion d’une campagne ordinaire ou hystérique comme celle de 2017. Croire que les scrutins présidentiels précédents n’étaient que nobles discussions constructives sur le devenir de la France est une vue de l’esprit.

Déterminer la personne la plus apte – ou la moins inapte – à être le Chef de l’Etat et le Chef des armées de la cinquième puissance mondiale pendant cinq ans est chose très importante en soi. Tellement importante qu’elle sature l’espace médiatique et écrase les autres sujets de fond. Dès lors, il convient de traiter ces derniers dans un autre temps et un autre espace politique.

Où débattre d’idées ?

D’une part, le débat d’idées se déploie dans des scrutins moins personnalistes, à l’image des scrutins locaux, qui sont beaucoup plus propices à des débats structurés autour d’enjeux de proximité identifiables par les électeurs.

D’autre part, un débat n’a d’intérêt que s’il vise à déboucher sur une compréhension mutuelle et sur la construction de réponses nuancées aux questions débattues. Or l’élection n’est pas un dialogue, c’est une compétition, une confrontation d’où doivent sortir un vainqueur et un vaincu.

Par conséquent, le débat de fond ne doit pas être attendu au moment du combat politique mais bien en amont, dans des instances où l’enjeu est moins la victoire rhétorique contre un adversaire que l’explication de thèses et l’échange de points de vue. C’est le format des débats scientifiques, philosophiques, économiques, syndicaux, associatifs etc… si méprisés par les populistes anti-experts et anti-élites, et pourtant tellement plus enrichissants que les joutes politiciennes des émissions politiques classiques.

Il ne tient qu’aux politiques de valoriser ces espaces de débats constructifs, d’y participer, de s’y former, de s’y armer intellectuellement pour, un jour, participer avec noblesse aux combats auxquels ils se destinent.

C’est même leur intérêt bien compris que d’adopter une telle démarche. La noblesse du « politique désincarné » – caractérisé par un ego mis au service de causes plus grandes que sa carrière, y compris jusqu’au sacrifice – sera à l’avenir le seul bouclier efficace face aux attaques personnelles, qui n’iront qu’en s’intensifiant.

Romain Millard

Élu municipal à Villebon-sur-Yvette (Essonne),
membre de Les Républicains, juriste

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Commentaires (1)

  1. Zoé Zaam

    vendredi 14 avril 2017 0 h 39 min

    Il a davantage été question de ‘programmes’ lors des primaires de droite & gauche, même s’il s’agissait aussi de compétitions.
    Cette élection présidentielle est une (consternante) première, puisque deux personnes suspectées de fraudes y postulent – ce qui occulte obligatoirement toute autre considération.
    Quant aux scrutins locaux > ‘débats structurés autour d’enjeux de proximité identifiables’ oui, mais cela n’en fait pas pour autant des débats d’idées ! il s’en faut même de beaucoup !!
    Mais je partage votre point de vue sur la nécessité de débats de fond en amont (explications & échanges + réflexion sereine), qui seraient facteurs de maturité & responsabilité citoyennes ; de plus, ils rendraient inopérants (ou désamorceraient beaucoup) tous les mensonges, intox, manipulations : toute campagne électorale s’en trouverait grandement assainie…

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