Les mondes les plus différents

J’étais abattue par les résultats du premier tour. C’était sans compter la banalisation de l’extrême droite. Entre extrémisme et ultra-libéralisme, difficile de choisir. Par ALICE RENAULT

À l’annonce du résultat du premier tour, j’ai fait partie de tou·te·s ces citoyen·ne·s abattu·e·s et un peu hagard·e·s. Abattue, car le candidat pour lequel j’avais fait la campagne, Benoît Hamon, et qui représentait ma famille politique, finissait cinquième avec un score des plus bas. Abattue de voir que la gauche ne serait pas au second tour. Et hagarde, car j’avais le pressentiment que face à ce qui pour ma génération notre 21 avril, il n’y allait pas avoir un sursaut républicain comme on l’avait vu en 2002.

Le 21 avril est pour beaucoup synonyme d’une prise de conscience et de leur premier engagement. Même si j’étais trop jeune pour aller manifester en 2002, j’ai souvenir des images de toutes ces manifestations durant l’entre deux tours, de ces appels unanimes à faire barrage au Front national et à voter pour Jacques Chirac. J’entends aussi mes camarades pour qui le choc du 21 avril fut le point de départ de leur engagement militant.

Le 21 avril a vu naître une génération spontanée de militant·e·s. Le 23 avril n’aura sûrement pas cet effet. Nous commençons à voir des appels à faire barrage au front national et à voter pour Emmanuel Macron, mais il n’y a pas cette unanimité de 2002.

Un Front national aux portes du pouvoir

15 ans après, l’arrivée au second tour du Front National ne semble plus bouleverser le pays. C’est comme si nous avions accepté la banalisation de cet extrémiste, des stigmatisations et du cortège de haine qui l’accompagne. Les défilés du 1er mai étaient marqués par la volonté de faire barrage à l’extrême-droite, mais ils étaient bien maigres comparés à 2002, quasiment dix fois moins de monde dans la rue.

Nous sommes-nous habitués à le voir aux portes du pouvoir ? En 2012, deux député·e·s frontistes ou apparenté·e·s entraient à l’Assemblée Nationale. Et ensuite, municipales, européennes, départementales : il engrangeait des succès avec des percées dans des territoires qui lui étaient avant récalcitrants comme l’Ouest de la France. Aux régionales, il se heurte encore à l’épreuve du second tour, mais qu’en sera-t-il la prochaine fois ?

Jamais le Front National n’a été si proche d’arriver au pouvoir. Le plafond de verre se fissure de plus en plus. Mais au final, pourquoi ne pas accepter qu’il y arrive ? Beaucoup de gens rencontré durant cette campagne et dans les autres que j’ai pu faire avaient cet argument : « On a essayé la gauche et la droite, alors pourquoi pas le Front national ? » J’appartiens à ces militan·te·s et ces citoyen·ne·s qui ne peuvent pas l’accepter.

Et si nous regardions son programme

C’est oublier que le Front national a déjà été au pouvoir dans de nombreuses villes depuis les années 1990 et que dans bien des endroits ces mandatures ont été entachées de nombreuses dérives. Il faut se souvenir de Toulon, Vitrolles qui, dès les années 1990, ont vu des maires frontistes.

Si vous être un homme blanc hétérosexuel bien inséré socialement, peut-être ne vivriez-vous pas directement l’arrivée du Front national au pouvoir par une baisse de vos droits. Mais si vous ne correspondez pas à ce profil idéal, ce qui concerne une grande majorité de nos citoyen·ne·s, l’arrivée au pouvoir du FN aura des conséquences négatives pour vous.

Il prône la remise en question du droit du sol, qui fait partie des traditions d’accueil et de tolérance de notre pays. Si vous êtes né.e en France quelles que soient les origines de vos parents, vous êtes Français.e et la République doit vous traiter comme tel.

Marine Le Pen féministe ?

Quand Marine Le Pen parle de défendre les droits des femmes, elle parle aussitôt de lutte contre l’islamisme qui met en péril leur liberté. Mais qu’en est-il des extrémistes catholiques ? Comme si la religion musulmane était une barrière à l’émancipation des femmes.

Beaucoup de sujets sont l’occasion pour elle de pointer du doigt une religion et une seule. Elle s’offusque des prières de rue quand les musulman·e·s n’ont plus de place dans les mosquées. Mais elle ne fut pas si virulente concernant les prières des intégristes de Civitas sous les fenêtres de l’Assemblée nationale pendant le débat sur le mariage pour tous. Elle présente une vision à sens unique de la laïcité, qu’elle invoque pour critiquer une seule religion, l’islam.

Elle a rappelé sa volonté de supprimer le mariage pour tous, mesure ô combien symbolique de ce quinquennat. Elle s’oppose à l’ouverture de la PMA au couple lesbien et aux femmes. Quand elle parle de lutte contre les discriminations dans son programme, rien n’est évoqué sur les LGBT-phobies. Hors depuis le débat sur le mariage pour tous, qui a vu une libération de cette parole LGBT-phobe, ces actes sont en très forte augmentation.

En mettant à mal cette avancée des droits, elle signifie à toutes les personnes LGBT qu’elles sont des citoyen·ne·s de seconde catégorie qui n’auront pas accès au mariage et ne pourront pas fonder une famille. Cela va à l’opposé des mesures qui apaiseraient la société sur ce sujet.

Incohérences profondes

Elle parle de transition énergétique et, dans le même temps, elle veut continuer la filière nucléaire française sans engager une baisse de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique.

Aujourd’hui, elle nous annonce que la sortie de l’euro n’est plus la priorité mais que nous pouvons imaginer la coexistence de deux monnaies avec une nationale et une autre pour les échanges internationaux. Pour autant, son programme reste un frein à la construction européenne.

Oui, l’Union Européenne est peut-être décevante par moment. Nous sommes éloignés de l’idéal d’une Europe plus sociale, mais pour autant l’Union a permis énormément d’avancées et de coopérations.

Marine Le Pen et son programme présentent de nombreuses incohérences. Si elle arrive au pouvoir, elle risque d’entraîner une violente tension au sein de notre société, un climat de suspicion et des divisions. Nous sommes loin d’une société apaisée et du vivre ensemble.

Le Pen et Macron, est-ce la même chose ?

Face à tout cela, certain·e·s sont tenté·e·s de renvoyer dos à dos les programmes de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron. Comme si l’extrémisme et l’ultra-libéralisme entraînaient les mêmes conséquences et était tous les deux autant dangereux pour la République.

Oui, le programme d’Emmanuel Macron est dangereux pour les acquis sociaux, mais celui de Marine Le Pen est dangereux pour notre démocratie et les valeurs de la République.

Bien sûr que face à cela, le programme d’Emmanuel Macron est loin de me satisfaire. Il met en péril la fonction publique, le Code du travail, n’est pas des plus ambitieux pour la transition énergétique, etc. Mais les mouvements sociaux et la société civile pourra continuer à s’opposer et à manifester contre ses mesures.

Face au péril que représente Marine Le Pen pour notre démocratie, je fais partie de ces citoyen·ne·s de gauche qui voteront pour Emmanuel Macron. Mais ce vote n’est en aucun cas un vote d’adhésion ou un blanc seing à son programme. Il ne promet en aucune mesure des lendemains qui chantent, mais il ne remet pas en cause les fondements de tolérance de notre République.

Espérons que le sursaut qui n’a pas eu lieu le 23 avril se produira dimanche dans les urnes.

Alice Renault

Militante du Parti socialiste

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