Les mondes les plus différents

Au royaume de Google, l’homme augmenté est diminué

Voyage dans l’antre Google, au cœur de ses méfaits et de sa signification philosophique profonde. Le dernier ouvrage de Christine Kerdellant, « Dans la Google du loup », chez Plon. Par DELPHINE ALLAIRE

Si Google avait été une fiction, on ne lui aurait trouvé meilleure incarnation que celle d’une créature mythologique. En effet, l’obsession d’un monde meilleur et l’ambition démesurée du géant de Mountain View n’ont d’égales que celles de Prométhée, Hybris ou Tantale…

Avec « Dans la Google du loup », la journaliste Christine Kerdellant, à la tête de « L’Usine nouvelle » et de « L’Usine digitale », signe un intéressant roman d’anticipation, qui alterne intelligemment passages documentés et épisodes narratifs. Le but : réfléchir sur les dérives actuelles et futures d’une société outrageusement « googlisée ». En investissant les champs de collecte de données les plus variés, de l’automobile à la santé, en passant par la robotique ou la domotique, Google prépare la mutation de l’univers vers la mémoire infinie, la transparence généralisée et la connaissance illimitée.

Première étape, l’armada d’objets connectés qui envahira le marché dans les prochaines années. Montres, bracelets, frigos, balances, caméras, médicaments bioélectroniques, lentilles intra-oculaires permettant la reconnaissance faciale et autres réjouissances pouvant mener à toutes formes de « neuro-hacking ». L’auteure met en garde contre ces amas de données ultérieurement vendus à des compagnies d’assurances qui, sans les exploiter immédiatement, s’assurent d’en détenir assez pour pouvoir pénaliser le client à l’avenir.

« Si vous êtes amenés à taper trop souvent le nom de tel fast-food, telle assurance maladie pourra empêcher le remboursement d’un soin donné », avance Christine Kerdellant. Les plus traîtresses ? Les recherches sur le moteur Google, toutes enregistrées depuis des années dans les très sécurisés « data center ».

« Le savoir, c’est le pouvoir »

Dans un de ses chapitres romancés, la journaliste va plus loin. Une femme range dans son frigo connecté un jus de fruit « spécial femmes enceintes », reçu à cause d’une erreur de livraison. Des publicités ciblées « produits de grossesse » commencent à surgir sur les écrans de ses appareils électro-ménagers. Ironie du sort, une fois arrivée sur son lieu de travail, elle se voit alors refuser la promotion pourtant promise par son patron quelques jours plus tôt…

Aux « geeks illuminés » de la Silicon Valley, la vie privée est un concept étranger. « Si vous faites des choses que vous ne voulez pas que les autres sachent, peut-être devriez-vous simplement ne pas les faire », affirmait Eric Schmidt, PDG de Google à CNBC, en décembre 2009.

Une transparence aux accents puritains, qui ne s’applique pas à tout le monde. Avez-vous essayé de savoir combien de requêtes le groupe Google satisfait, combien d’électricité il consomme, quelle capacité de stockage il possède, combien de mails il a mémorisés ? Google n’accorde aucune importance à la vie privée, sauf à la sienne.

Loin de la science-fiction suggérant l’avènement imminent d’êtres hybrides mi-biologiques, mi-informatiques, « Dans la Google du loup » ose là une critique pleine de justesse sur un monde habité par le seul désir messianique d’augmenter l’homme et tuer la mort… N’oubliant jamais que derrière la technologie se loge souvent l’idéologie.

Delphine Allaire

« Dans la Google du loup », Christine Kerdellant, Plon, 315 pages

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