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« La symphonie ‘héroïque’ de Beethoven est plus romantique que politique »

CHRONIQUE • LES CLASSIQUES DE LA MUSIQUE — La troisième symphonie de Beethoven, une de ses plus grandes œuvres, développe autant d’atmosphères différentes que de mystères. Par CHRISTIAN DAGUERRE

L‘admiration qu’avait Ludwig van Beethoven (1770-1827) pour Napoléon Bonaparte l’amène à lui dédier sa troisième symphonie, qu’il écrivit de 1802 à 1804. À tel point qu’il lui donna le nom de « Bonaparte » — chose très rare à l’époque pour un compositeur que de nommer lui-même son œuvre. Mais, c’était sans compter le jour où le consul se sacra lui-même empereur Napoléon Ier. Partisan convaincu de la République, Beethoven arracha la première page de sa symphonie pour la rebaptiser « Eroica ».

Héroïque, la première partie l’est effectivement. Les deux premiers accords assénés par tout l’orchestre, son premier thème allant crescendo des violoncelles jusqu’au tutti de l’orchestre, la présence de trois cors au lieu de deux habituellement, ses rythmes décalés et son thème repris par les trompettes en guise de conclusion. Elle est un concentré d’éclats brillants et de péripéties haletant jusqu’au point d’orgue final.

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Mais lors du deuxième mouvement, la marche funèbre, qui constitue le cœur de cette symphonie de cinquante minutes, nous fait passer d’un extrême à l’autre, à l’opposé du brio du premier mouvement. Son thème saccadé, ses basses rutilantes, ses timbales sonnant le glas de la mort nous transportent avec frissons dans l’au-delà. Pourtant, cette funeste ambiance laissera place à une mélodie lumineuse aux hautbois, flûtes et bassons, dans une scène paisible et impassible. Évocation du paradis…

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Les mesures qui suivent reprennent à leur manière un caractère héroïque. Le troisième mouvement, un scherzo — qui signifie « badinage » ou « divertissement » en italien — fait entendre une chevauchée fantastique aux contrastes saisissants, suivie d’une scène de chasse où les trois cors exposent un thème ponctué par les instruments à cordes.

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Le quatrième et dernier mouvement permet à Beethoven une évocation de Prométhée, personnage de la mythologie grecque, qui devait, disait-on, insuffler la vie à des hommes faits d’argile et qui permit à Beethoven d’immiscer l’idée d’une incarnation de Prométhée dans le personnage de Bonaparte, telle une référence voire une identification philosophique. La mélodie débute mystérieusement par des pizzicati (pincements des cordes de violon) puis, par une succession de variations, s’amplifie jusqu’à être reprise par l’ensemble de l’orchestre, construction qui rappelle celle du premier thème du premier mouvement. L’élan donné par cette mélodie allègre est rompu par un passage lent où Beethoven réussit l’alliage subtil des cors et des trompettes. Puis, c’est une fantastique apothéose finale qui conclut l’ensemble de la symphonie.

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Enigme

Alors que Beethoven dédia sa symphonie initialement à Bonaparte, pourquoi cette marche funèbre au cœur de la symphonie ? Beethoven avait-il déjà prévu la chute de son héros ? Avait-il des doutes sur Bonaparte, avant qu’il ne se sacre empereur ? Non, le fait que Beethoven ait eu fini d’écrire sa symphonie avant le sacre du consul rend peu probable cette hypothèse. En fait, il semblerait davantage que Bonaparte ne fut pas l’inspirateur de cette symphonie. D’autres influences apparaissent alors…

Par ses sentiments exacerbés, cette symphonie est construite davantage pour nous narrer une histoire. Son écriture, son état d’esprit est sous l’influence du « Sturm und Drang » (« Orage et passion »), courant littéraire allemand du XVIIIème siècle, dont Schiller et Goethe en sont les auteurs les plus connus. L’amour, les passions et la mort sont désormais les maîtres-mots d’un nouveau style musical : le romantisme. Cette symphonie est la première de ce style et tranche avec le style galant qui régna à l’époque classique (Mozart, Haydn…) et dont l’objectif était de divertir.

Beethoven dans un paysage d’orage, peint par Carl Schweninger (1854-1912).

La présence d’éclats de caractère s’explique également par la surdité dont était frappé Beethoven. Il crée son œuvre à un âge où il accentue sa surdité congénitale, et l’on peut bien imaginer la souffrance d’un musicien et compositeur tel que Beethoven de ne pas pouvoir entendre ses œuvres de ses propres oreilles, si ce n’est de les imaginer dans ses pensées.

Cette tragique situation influence nécessairement son écriture, car ils ressent alors le besoin d’utiliser des techniques d’écriture qui lui permettrait de mieux stimuler son audition. Il renforce les contrastes et les accents, développe ses idées comme aucun autre compositeur. Il pouvait écrire trente versions d’une même mélodie pour au final n’en retenir qu’une. Son travail des rythmes et des harmonies fait de lui un homme de théâtre.

Sa splendeur, son caractère grandiose et ses voyages aux horizons lointains fait de cette symphonie « Héroïque » — symphonie préférée de Beethoven lui-même — le premier chef-d’œuvre romantique de l’histoire de la musique. Sa marche funèbre fait écho à celle de la 12ème sonate et annonce déjà les tourments de la 5ème symphonie et la paisible mélancolie du mouvement lent de sa 7ème symphonie. Elle marque la théâtralisation des contrastes beethovéniens, tout en racontant les péripéties d’un héros imaginaire. 

Christian Daguerre

Pianiste et compositeur

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