Les mondes les plus différents

L’Île de la Cité, terrain de jeu pour écrivains

LE PARIS LITTÉRAIRE N° 3 Passons Rive Droite à Notre-Dame pour saluer notre écrivain national Victor Hugo et son cortège. Sans oublier le héros mondain de Louis Aragon : Aurélien. Par MATHIAS JORDAN

Il est temps de traverser la Seine, de passer les ponts, de sauter sur l’Île de la Cité. Au revoir Rive Gauche, à bientôt. Et inclinons-nous devant Notre-Dame de Paris en pensant à Victor Hugo. Finalement, son roman médiéval se campe dans Paris, celui dont on rêve avec la masse de pierre de la cathédrale. Il est sans doute l’un des auteurs les plus parisiens de son siècle. Ayant incendié les auditoires à l’Assemblée et au Sénat, s’étant éteint dans l’avenue qui porte son nom — de son vivant déjà —, ayant reçu les hommages de la capitale sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile : il est parisien.

Imaginez ce catafalque gigantesque sous la voûte napoléonienne, du tissu noir tombant sur les statues et un tombeau immense trônant sur une piédestal monstrueux : l’hommage à l’écrivain-homme politique était digne d’un roi, Paris l’a célébré à la démesure de son aura. Imaginez le cortège funèbre qui l’amène de l’Étoile au Panthéon, pleuré par une foule immense de Parisiens en ce 31 mai 1885, jour de deuil national. Imaginez le cortège de chars remplis de fleurs, d’officiels et de gardes, imaginez le petit corbillard des pauvres au milieu de la marée humaine qui se presse sur le trajet.

Le corbillard de Victor Hugo, en 1885.

Victor Hugo a célébré Paris, il en a fait le terrain de jeu de ses héros de Jean Valjean à Fantine, d’Esméralda à Quasimodo, de Frollo à Javert ou Cosette. Ses épopées sont parisiennes. Ses scandales le sont aussi. Pensez à Hernani qui a été si chahuté dans les théâtres.

Enfin, sa vie a été parisienne, mise à part son origine franc-comtoise, ses exils, mais toujours pour revenir à Paris. Visitez alors sa maison, Place des Vosges dans le Marais. C’est un appartement qui n’a rien plus rien d’habitable ni d’habité mais qui donne l’esprit bourgeois et confortable de l’écrivain en plein cœur de la capitale, sur une place royale, lui qui a débuté avec l’Empire, a soutenu la monarchie avant de devenir le pape de la République. Comme caution morale d’un régime incertain.

La foule devant le Panthéon pour l’entrée de Victor Hugo.

Passons devant les gargouilles qui nous rapprochent du littéraire pour sauter sur l’autre île.

L’Île Saint-Louis, un bateau arrimé sur la Seine, qui nous ramène à Aragon. C’est ici, face aux arcs-boutants de la cathédrale qu’habite Aurélien, ce héros romanesque passif et mondain, amoureux de Paris — encore un. De là, il part visiter Pigalle, les galeries d’artistes, les grands appartements de Passy, il flâne, il vit, il respire Paris. Aurélien, un roman sur Paris pour qui aime Paris, à la fois sous le soleil, comme sous la pluie — un roman sur l’amour, aussi absurde ou impossible qu’il puisse être. Aurélien est décadent, il aurait pu s’entendre avec son voisin Baudelaire.

Le poète maudit a vécu sur l’îlot, à l’Hôtel de Lauzun, pour y rédiger une invitation au voyage qui fait de Paris le port d’attache duquel il part dans un paradis artificiel, avec un autre habitant des lieux : Théophile Gautier. Ils formèrent avec d’autres le Club des Haschischins (tout est dit dans le nom de ce club sur les occupations des réunions). Voilà des heures presque glorieuses du Paris littéraire.

L’Hôtel de Lauzun sur l’Île Saint-Louis à Paris. Antoine Vitek/DR

Elles le sont davantage en remontant le quai vers Châtelet et les sombres ruelles des Halles, le Ventre de Paris d’un Zola, avant d’aboutir à côté du Palais Royal au « Français », ainsi que l’on surnomme la Comédie française entre mondains. Institution historique, symbole de la littérature, de la comédie, de la tragédie, du théâtre français, elle abrite le souvenir des Grands. Vous y admirerez le fauteuil dans lequel Molière en Malade imaginaire s’est éteint, la statue de Voltaire, qui contiendrait son cerveau, d’autres écrivains vivants par leurs textes, vivants par leur image et leur nom dans ses hauts lieux. Voltaire est présent à quelques pas, encore, mais cette fois-ci par son cœur, déposé dans le socle de son effigie à la Bibliothèque nationale de France, site Richelieu.

La Bibliothèque nationale de France, site Richelieu. Jean‐Christophe Ballot/DR

Le quartier est hautement littéraire. Plus mondain, sans doute, plus chic, comme il a vu habiter Jean Cocteau, voisin de Colette, Malraux en tant que locataire du ministère rue de Valois. Entre artistes et écrivains, ils avaient vue sur l’un des plus beaux endroits de Paris, un jardin dans la ville, un palais public, lieu de promenade et de repos, de pétanque et de selfies, lieu dédié aujourd’hui à être vu et aux défilés de mode sous les fenêtres du Conseil d’Etat. Personnellement, c’est ici qu’à mon arrivée à Paris un mois de septembre, je me suis assis pour lire au soleil l’Etranger de Camus, au calme contre la pierre jaunie.

Curieux mélange en cet endroit, brassage des genres et personnalités dévoilées : l’inspiration des littéraires parisiens vient sans doute de ces contrastes et de cette diversité, des croisements inhabituels du quotidien parisien. Il serait donc temps de sauter du passé à la modernité, de dépasser les vieilles pierres de Paris Centre pour le littéraire dans les arrondissements à deux chiffres. Affaire à suivre. 

Mathias Jordan 

Parisien

Le Paris littéraire n° 1 : « Paris et ses fantômes littéraires »
Abonnez-vous gratuitement
Recevez notre lettre bimensuelle dans votre boîte mail.

Illustration : Notre-Dame-de-Paris de nuit.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

NOUVEL ARTICLE

CHRONIQUE — Chapeau. Par PRENOM NOM

À nos chers lecteurs

La revue Pierre évolue. Après un an de travail qui a vu un lectorat grandissant, notre projet s’élève en exigence et reviendra bientôt encore plus ambitieux. Pour être informé de la nouvelle sortie en avant-première, abonnez-vous !