Les mondes les plus différents

« Le Quartier latin, cœur pensant de Paris »

CHRONIQUE • PIERRE PARISIENNE — Entre la Sorbonne et les grandes écoles, voici le deuxième volet de notre série de déambulations dans le Paris littéraire. Par MATHIAS JORDAN

Reprenons. Nous nous étions arrêtés au sommet du Parnasse français, là-haut sur la colline. Il est temps de redescendre, de voir l’effet des muses et des grands esprits morts sur le reste de Paris, quitter ces glorifiés pour en retrouver d’autres.

Premier volet de notre série : « Paris et ses fantômes littéraires »

Zigzaguons un peu sur le flanc sud de notre montagne Sainte-Geneviève. Là en descendant rue d’Ulm, inclinons-nous devant l’École Normale Supérieure, de laquelle sont sortis honorables professeurs, rats de bibliothèque en herbe et têtes pensante des XIXème et XXème siècles. Contournons vite la butte, vers la rue Mouffetard, haut lieu d’émulation intellectuelle où nos étudiants enfiévrés de bière ont pu développer des débats intenses à trois heures du matin. Ils ont pu regagner paisiblement les bancs des grands lycées parisiens qui trônent là-haut, dont Henri-IV (« H4 » pour les intimes) et sa tour Clovis, qui fait le pendant à l’Observatoire de la Sorbonne.

Observatoire de la Sorbonne, à Paris. | Photo Jean-Marie Hullot

Car à présent, serpentons sur le flanc nord de notre montagne. Nombreux ont été nos littérateurs à la fréquenter aussi, comme élèves d’abord, à la Sorbonne donc, au Collège de France. Ils ont fréquenté les universités et la bibliothèque Sainte-Geneviève, grande et froide, élégante et studieuse. Mais faire la liste des illustres têtes qui y sont passées reviendrait à tirer une liste digne de la litanie des saints.

Un champ de fleur sur la montagne

Ce qui rend l’affaire encore plus complexe est aussi le système de poupées russes de ces institutions. Je parle de la Sorbonne comme d’un lieu physique, mais qui a accueilli l’École des Chartes (déménagée au Nord, rive droite), qui renferme toujours différentes universités de Paris — ou du moins les administrations, ce qui confère le terme de Sorbonne à ces écoles, le rectorat aussi. Et quel bonheur que de voir lors d’une cérémonie comme la panthéonisation des résistants intellectuels il y a deux ans la brochette des professeurs et directeurs en toges multicolores.

Chaque faculté a sa toge, noire pour le recteur et la théologie, écarlate pour le droit et l’économie, groseille (ou cramoisie) pour la médecine, amarante pour les sciences exactes et expérimentales (un genre de bordeaux en réalité) et jonquille pour les arts, lettres, philosophie et humanités. Résumons : je suis jonquille et nos littérateurs le sont également pour la grande majorité. Un champ de fleur, sur les coteaux de la montagne parisienne. Bucolique.

Mais allez chercher de la verdure entre ces quatre murs… Vous aurez du mal ! N’y sont que les amphithéâtres, couloirs interminables, monceaux de papiers administratifs, marbres froids, machines à café et une sublime bibliothèque de la troisième République : une hauteur sous plafond immense, une décoration foisonnante entre le style pompier l’Art Nouveau, un cadre grandiose pour écrire un mémoire le samedi matin, je vous assure.

Salle de lecture de la bibliothèque Sainte-Geneviève (Sorbonne), à Paris. | DR

Bref, continuons notre descente vers la Seine, le Quartier latin, devenu aujourd’hui un repère grouillant de touristes et de restaurants indiens. Vite, fuyons à quelques mètres vers la Place Saint-Michel, écrasée sous les bannières jaune de la librairie Gibert Jeune que regardent du haut du boulevard Saint-Michel les bannières bleues de Gibert Joseph. Ces deux institutions ont été touchées il y a peu par un soupçon de révolution.

Après 80 ans de séparation et de concurrence, de clans et de batailles, voilà que le patron de Gibert Joseph aligne des liasses de billets sur la table pour acheter l’enseigne. Les deux maisons s’étaient brouillées en 1929 à la suite d’une sombre et classique affaire d’héritage. Elles resteront toutefois séparées, chacune de leur couleur. Nous voilà rassurés. Il faut dire que l’offre et le principe du livre d’occasion y sont les mêmes, à la différence que le blason jaune est plus tentaculaire, étalé de part et d’autre de la fontaine Saint-Michel, longeant même le quai vers Notre-Dame. Ce bazar a vu tellement de littéraires parisiens passer.

Saint-Michel terrassant le Démon, par Francisque Duret, Fontaine Saint-Michel (1860) à Paris. | DR

Dans ce coin, le cœur littéraire de Paris bat. Entre le café viennois, pour vous donner un arrière-goût de Zweig dans Le Monde d’hier, où vous pourrez manger d’authentiques et succulentes pâtisseries austro-hongroises, et le Procope, qui a vu naître les idéaux révolutionnaires et l’universalisme intellectuel de Voltaire, Diderot et d’Alembert, les lumières de Franklin, la poésie d’un Verlaine et le désespoir d’un Musset, le quartier est indubitablement pensant.

Le restaurant Le Procope, un des plus anciens de la capitale, près d’Odéon à Paris. | DR

Cela se retrouve dans les livres et les éditions qui y pullulent, avec la librairie des « Que sais-je ? » des PUF, autrefois Place de la Sorbonne (à la place d’une enseigne américaine de chaussures de course), qui garde dans son arrière-boutique une fabuleuse imprimante à livres, ou la librairie Dalloz rue Soufflot, ou encore ces nombreuses boutiques d’impression et de reliure qui permettent aux étudiants de produire mémoires, thèses et autres travaux sérieux, base de leur future gloire littéraire. Espérons pour eux.

Mathias Jordan 

Parisien

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Illustration : Statue de Victor Hugo dans la cour de la Sorbonne à Paris. | DR

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