Les mondes les plus différents

« Ça ! C’est Paris ! »

Aujourd’hui, le Paris vintage. Au fond, ce goût des Américains pour l’entre-deux-guerres a déteint sur nous. Pour une bonne raison : l’anachronisme a du charme. Par MATHIAS JORDAN

Mardi 25 avril au Palais Galliera (16ème arrondissement de Paris), vernissage de l’exposition « Dalida ». Entre les strass et les plumes, mon collègue se penche vers moi et me souffle : « Ils étaient hier à la première à l’Opéra-Comique aussi. Ils sont partout. » Il ne parlait pas d’Orlando, frère de Dalida, mais d’un petit groupe original qui papillonnait entre les mannequins. Une jeune femme avec une voilette, un renard sur l’épaule, des gants et du rouge aux lèvres ; un jeune homme, petites moustaches à la Proust au-dessus d’une bouche pincée et un costume croisé rayé aux couleurs des années 1930 ; un grand gars, bretelles et casquette, pantalon à pince et chemise en lin comme un docker du quai des brumes. Tous dandy qu’ils soient, tous connus qu’ils puissent être — interviewés dans un bar du Marais, présents sur Instagram, ils aiment et vivent le Paris authentique. Celui d’avant 1960. Le vintage à Paris est une formule qui réussit.

Le film « Midnight in Paris » de Woody Allen en est l’exemple parfait, à plus d’un titre. Commençons par l’aspect carte postale. Indéniablement, Paris n’a que peu changé depuis les temps glorieux du Paname de Maurice Chevalier. Les lieux, les rues, les monuments, tout est reconnaissable sur une photo argentique de 1935. Ces clichés nous sont enviés par des hordes de touristes.

Après le décor, il y a les activités : flâner dans les rues de Montmartre, boire un verre avec Hemingway au Ritz, laisser un ami jouer du piano dans un bar comme Cole Porter chez les Fitzgerald. Et surtout, flâner aux puces (et accessoirement rencontrer cette petite Française passionnée et gênée qui rit, mal à l’aise). À Saint-Ouen ou Porte de Vanves, on y déniche des babioles, des vêtements, des meubles authentiques qui auront vécus tant de chose qu’ils meubleront vos intérieurs dans ce goût vintage.

Mes adresses

Car l’habillement est essentiel : avoir du style, être original, sortir du lot. C’est un credo tellement actuel, que seul le passé peut le permettre — avec l’élégance nécessaire — d’où l’explosion des friperies du 1e, 3e, 4e, 9e, 10e, 11e, 12e, 18e, 19e et 20e (et non ce n’est pas une liste de siècles ni de températures). Habillés comme un Robert de Montesquiou ou Jean Gabin jeune, vous voilà prêts à passer tout de même chez le barbier, prêts à payer 30 euros minimum pour un rasage de près, ressortir avec une pilosité taillée qui vous durera 24 heures de perfection, avec moult onguents et des cheveux gominés pour parfaire la touche.

Partez donc alors sur les traces des années folles. Et vous aurez le choix : de la simplette guinguette au bal organisé, que de choix ! Les plus authentiques préfèreront en effet danser un petit swing ou lindy hop sur les quais de Seine devant l’Institut du monde arabe. Ne manquent que les canotiers et les ampoules multicolores au-dessus des tables où siroter un Ricard ou un Rosé – on passe à du Pagnol ou du Carné en un morceau grésillant sur vinyle – acheté aux puces naturellement. Les plus amoureux du théâtre iront aux soirées « Paris Follies » de la Baronne de Paname – un curieux mélange entre le carnaval de Montparnasse et les Ziegfeld Follies, cabaret à l’ancienne et bal charleston bon enfant, dans des décors sublimes et symboliques des années 1920 comme le dancing de la Coupole. Les puristes iront au Caveau de la Huchette à Saint-Germain-des-Prés, espace exiguë mais mythique des zazous. Et les plus fauchés apprécieront les jazz band devant le Café de Flore ou le clarinettiste de la Ligne 1 qui tente de jouer tant bien que mal les succès d’Al Bowlly.

Pour ma part, je m’en tiens déjà à la tradition de la brasserie bien parisienne, où l’on mange pour trois sous – ou un peu plus, Paris oblige — où l’on mange français, oui Madame ! et surtout où l’on mange bien. Essayez le Bouillon Chartier toujours bondé et touristique, allez au Café de l’Industrie ou au Bistrot des Victoires (voilà que j’ai dévoilé mes adresses, mon Dieu !). Ça c’est Paris ! (dixit Mistinguett)

Aurélien

Ce Paris se redécouvre et s’est redécouvert. Petit à petit, par le regard des touristes qui cherchaient la capitale française de « Un Américain à Paris » avec Gene Kelly. Et les Parisiens se sont peut-être rendu compte de ce qui fait le charme de leur ville : le zinc des comptoirs, les parquets noircis et les tapis persans usés, les éclats de rire en terrasse, les expositions où s’alignent Picasso, Modigliani et Matisse. Heureusement que les occasions d’en voir sont nombreuses. A vos agendas de dandys esthètes : « 21, rue La Boétie » au musée Maillol, « De Zurbaran à Rothko » au musée Jacquemart-André, « Tokyo-Paris » au musée de l’Orangerie, « Olga Picasso » au musée national de son mari… pour vous donner l’impression de vous promener dans les salons et les galeries décrites dans « Aurélien » d’Aragon, entourés de Cocteau ou Soutine.

Au fond, ce goût que l’on doit aux Américains, tellement fans et attirés par l’entre-deux-guerres, déteint sur nous. Le best-seller de 2015 n’aura-t-il pas été « Paris est une fête » écrit précisément par un étranger qui se saoulait Boulevard du Montparnasse ? Les regards extérieurs nous permettent de voir qui l’on est. Miroirs qui reflète nos défauts, nos qualités, nos habitudes, notre histoire, nos particularités. Et le reflet est sans doute plus beau que l’on croit. Il nous montre une joie de vivre impérissable, comment apprécier un vrai repas avec des amis, un café entre collègues, le temps de se promener dans la plus belle ville du monde.

Un air de piano

Quelle meilleure armure que ce regard extérieur sur un monde qui se normalise ? Comment mieux lutter contre la déshumanisation du quotidien qu’en retrouvant la vie et l’authenticité caricaturale que veulent les touristes ? Aujourd’hui en effet, les hôtels, les magasins, les monuments sont les mêmes. Standardisation totale avec des grandes chaînes de magasin, un Ritz qui ressemble à un Plazza Athénée avec les même chambres, les mêmes services, les mêmes chaises à médaillon néo-Louis XV ou les mêmes néons cachés dans des plantes vertes, les mêmes lustres ultra-modernes qui tranchent dans le décor. Le décorateur voulait du contraste, répondre aux attentes d’une Dolce Vita habituée aux mêmes standards à l’international. Quel manque d’élégance. Quel manque de cachet.

Je demande du vrai. Je demande de la vie parisienne. Je demande ce temps retrouvé. Je demande du scandale. Yves Saint-Laurent aura réussi à créer la tendance en 1971 avec sa collection « Années Quarante ou Libération » en faisant bondir ceux qui jugeaient ces temps bannis et sales. Et pourtant le pli a été pris. Viennent les années 1940 où malgré les pénuries, les Parisiennes se rougissaient les lèvres. Vienne le Paris où les monuments étaient noirs de pollution. Vienne un petit air de piano qui s’échappe d’un rez-de-chaussée dans la torpeur d’un dimanche après-midi d’été.

Trêve de lyrisme et de nostalgie. Notre groupe fardé et moustachu a sans doute compris que, même si « c’est pas parce que c’est vintage, que c’est beau » (Xavier Dolan dans « Les Amours Imaginaires »), l’anachronisme a du charme.
Que l’émotion et l’élégance font tout, font Paris. 

Mathias Jordan

Extrait du film « Funny Face » (par Stanley Donen), avec Fred Astaire, Audrey Hepburn et Kay Thompson, 1957

Illustration : capture d’écran du film « Funny Face »

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