Les mondes les plus différents

Ce qu’un tapis rouge dit de la France et de l’Afrique

Le président Macron recevait le 11 juin dernier le premier chef d’État africain de son mandat. Mais le détail des attitudes révèle un rapport de force très inégal entre la France et ses anciennes colonies. Par NOÉ MICHALON

Les pneus crissent sur le gravier chauffé à blanc de la cour de l’Elysée. De la berline sort Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire. Il se dirige d’un pas pressé vers le perron, où l’attend Emmanuel Macron, le regard strict. Pour la presse conviée ce jour-là, c’est un grand jour : le nouveau et jeune président reçoit le premier chef d’Etat africain de son mandat. Quelle sera sa politique ? Rompra-t-il avec les démons des réseaux de la « Françafrique », comme l’ont fait chacun de ses prédécesseurs depuis François Mitterrand sans jamais vraiment convaincre ?

Une banalité pour l’un, un honneur pour l’autre

L’événement est attendu. Mais il n’y a pas de tapis rouge. La garde républicaine range rapidement ses instruments après une brève fanfare. La rituelle poignée de main a lieu. Le jeune hôte prend son invité – qui pourrait largement être son père – par l’épaule et le conduit sans traîner vers l’intérieur du palais.

Nous sommes le 11 juin 2017, jour du premier tour des élections législatives françaises. Jour, aussi, de finale masculine du tournoi de tennis de Roland-Garros. S’il y a bien un jour où la presse n’est pas d’humeur à rôtir sous les 30°C ambiants de l’entrée de l’antre du pouvoir, c’est celui-ci. Difficile aussi pour M. Macron d’avoir l’esprit à parler sécurité ouest-africaine et protection de l’environnement, au moment où se décident les contours de la majorité à l’assemblée qui l’accompagnera ces cinq prochaines années.

Quarante minutes de discussion privée plus tard, vers les couloirs frais du château, un petit salon accueille une déclaration conjointe des deux présidents. Dix minutes chrono de discours, pas une seconde dédiée aux questions des médias. Tout juste rappelle-t-on que « La France est le premier partenaire bilatéral de la Côte d’Ivoire », et qu’il faut « approfondir et renforcer cette relation ». Une vingtaine de sièges sont réservés aux journalistes, le premier rang à la délégation du visiteur.

Car si cette réception dominicale a tout d’une visite banale d’un chef d’Etat à un autre, M. Ouattara a pris les choses autrement plus sérieusement. Il est venu accompagné de son Premier ministre, son ministre des Affaires étrangères, le secrétaire général de la présidence, l’ambassadeur de son pays à Paris et plusieurs conseillers. Un cortège inédit pour ce type de visite de courtoisie. « Merci encore de votre disponibilité. Merci beaucoup. Merci. Merci », scande le président ivoirien à la fin de l’entrevue.

À l’inverse, au mois de mai, Emmanuel Macron a déjà eu l’occasion de se rendre au Mali, dans la foulée de son élection, dans d’étranges circonstances. Aucun but diplomatique, mais plutôt pour honorer une promesse de campagne en allant rencontrer les forces françaises qui y sont stationnées.

Trois jours avant de partir, le président français appelle son homologue malien : il n’aura pas le temps de passer par Bamako, la capitale, il se rendra directement à Gao, où se basent le gros des troupes tricolores. Aucun problème pour son interlocuteur, qui l’accueille en grande pompe à son arrivée sur le tarmac.

Rapport de force

Ces attitudes dissymétriques en disent long sur la relation complexe qu’entretient la France avec ses anciennes colonies africaines. Un passage à l’Élysée représente toujours l’honneur suprême qu’un chef d’État d’Afrique francophone peut obtenir. Au point que la presse ivoirienne fera état quelques jours après la rencontre au sommet d’une lutte acharnée entre Alassane Ouattara et Macky Sall, son homologue sénégalais, pour être reçu en premier par le « Jupiter » français. À noter que M. Sall n’a pas eu droit non plus au tapis rouge.

Les exemples sont légion et se répètent de présidence en présidence. Ils nous tendent un miroir sur la relation qui unit les chefs d’État africains à l’Élysée. Cette relation a tous les symptômes de la vassalité, de la soumission. La rencontre avec le chef de l’État français, quelles qu’en soient les circonstances, représente le plus grand des honneurs. Du côté parisien, on se permet avec les anciennes colonies d’Afrique des familiarités et des enfreintes au protocole diplomatique qu’on ne se permet avec nul autre pays. Bien sûr, il arrive parfois que certains invités africains soient choyés. Mais c’est rarement par hasard ou simple souci protocolaire.

La force de frappe immédiate de l’armée française sur le continent africain grâce à ses bases stratégiques, ainsi que les aides financières au développement représentent la sécurité que le suzerain offrait à son vassal. Lequel vassal livrait en échange ses récoltes. Ou ses ressources naturelles…

Quelques jours après cette étrange réunion Macron-Ouattara, la Côte d’Ivoire annonce avoir levé 1,5 milliard d’euros sur les marchés financiers, une somme colossale à l’échelle du budget national. Il semblerait que l’adoubement ait porté ses fruits. 

Noé Michalon

Illustration : Montage : Alassane Ouattara, président de Côte d’Ivoire, en 2012 (source) ; Emmanuel Macron en 2015 à l’Ecole Polytechnique (Wikimedia Commons)

Commentaires (2)

  1. Moda

    dimanche 2 juillet 2017 9 h 16 min

    L’univers de la diplomatie est régit par le rapport de force. Tout simplement.. N’est pas kadhafi qui veut….

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  2. serge

    dimanche 2 juillet 2017 18 h 55 min

    cette vassalité n’est pas seulement due aux 1,5 milliard d’euros. Ouattara tient son pouvoir de Paris et de manière générale, de la communauté internationale. le peuple ivoirien n’a jamais voulu de lui, ni hier ni aujourd’hui.

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