Culpabiliser ceux qui s’abstiennent au second tour n’a aucun sens : il s’agit de refuser toute légitimité au prochain président. Par l’ÉNERVE DU COIN

J’avais pensé partir sur un tableau comparatif des dangers apportés par Macron et Le Pen – pour rappeler que ce n’est pas un choix de trancher entre le fascisme et le libéralisme sauvage qui a cimenté sa montée. Finalement, je me suis énervé(e). Donc je passerai très vite sur ce qui constitue pour moi deux seules raisons environ convaincantes de mettre Micron dans l’urne.

1. Evaluer le danger immédiat que représente le Fhaine pour des populations qui ne sont pas nous, illustres théoriciens du fascisme et voter en conséquence pour les atteintes les moins directes. 2. Micron ouvrirait – ouvrira – une période de zbeul absolument immense, en pleine recomposition de la gauche, galère de majorité, atteintes aux travailleurs, et tentatives de gouvernement par décret et 49-3, ça va être des années mauvaises pour mon sommeil et bonnes pour le mouvement social, il va se prendre une bonne grève générale dans la gueule. C’est opportuniste mais c’est un argument.

Bref, finalement, cet article se veut une ébauche de réponse à la culpabilisation massive, systématique, banalisée de l’abstention comme acte « irresponsable », « apolitique » voir « immoral ».

L’abstention est politique

Rappelons que s’abstenir, c’est refuser absolument de donner légitimité à l’élu de dimanche. Si l’abstention est forte, en plus du vote blanc, et en recoupant avec le pourcentage de votants, qui aura donné le pouvoir au candidat ? Bien moins de la moitié des gens qui vivent en France. Et ce n’est pas qu’un élément symbolique, c’est réel, ça va venir impacter le rapport de force. Préférer occuper la rue, c’est redonner vie à une urgence de révolte dans une société où elle est réprimée à toutes les échelles.

Pourquoi sommes-nous devenus les moutons noirs, d’un coup, responsables de tous les maux ? A vous entendre, c’est nous qui allons asseoir Marine Le Pen sur le trône du pouvoir et lui donner les armes d’une politique dangereuse. Est-ce que ça vous aide à croire qu’on va s’en sortir ? Est-ce que ça vous soulage et vous donne le temps de ne pas penser à ce qui a mené à cette situation ? C’est-à-dire la politique menée par les partis généralistes dont Macron se revendique sans se revendiquer ? C’est-à-dire un fonctionnement démocratique intermittent où vous êtes appelés à développer des brillantes analyses politistes une fois tous les cinq ans ? Ça me fait penser aux articles du Figaro qui attribuent les violences du soir du premier tour à des militants insoumis tellement dégoûtés que d’un coup, sur le coup de la défaite, se seraient mis à tout péter. Les gars, réveillez-vous.

De l’importance de ne pas se tromper de coupable

Ah bon, ceux qui font le jeu du Fhaine, c’est nous qui sommes une majorité à être impliqués dans des associations d’aide à la personne, de centres sociaux, culturels, cantines, squats autogérés pour aider de main à main les groupes de plus en plus nombreux qui se retrouvent temporairement ou durablement au ban de la société grâce aux « défaillances de marché » du capitalisme tel qu’il est ? C’est nous qui faisons le choix de lutter dans la rue pour les droits de ceux que vous défendez, une fois par an, quand ils sont sur le point d’être expulsés ?

Puisque vous avez si désespérément besoin de coupables, je me fais un plaisir de vous en donner. Qui a démantelé le code du travail et qui prévoit de lui donner le coup de grâce ? Qui a précarisé en masse ? Qui a mis en place l’Etat d’urgence et cautionné les violences qui en ont découlé bien loin du cadre de la lutte contre le terrorisme ? Qui vend des armes, qui pactise avec les dictateurs pour ensuite parler quotas d’immigration sur le dos des crises que leur politique internationale a provoquées ? Qui a osé proposer la déchéance de nationalité ? Allez, vous avez bien une petite idée.

Côté médias maintenant, est-ce le cortège de tête et ses « débordements en marge de la manifestation » lundi dernier qui fait le jeu du Fhaine ? Ou la large poignée de journaux généralistes qui tournent en boucle sur six policiers blessés contre 168 manifestants, chiffre qui plus est documenté et polémiquent sur cette photo qui deviendra culte ? Pour citer Mathias Fekl, « des professionnels de la casse et de la violence », « venus pour attaquer les forces de l’ordre (…) pour blesser et tuer des policiers », enfin, tout sera mis en œuvre pour retrouver ces criminels. Qui a l’audace de ne se rendre qu’au chevet des policiers blessés sans UN MOT pour les autres ?

Même Jean-Luc Mélenchon ne les mentionne pas, on n’a ainsi plus aucun doute et plus aucun regret sur sa potentielle gestion du mouvement social si il avait été élu (Totale compassion avec le CRS brûlé. Ignoble violence de cette tentative de meurtre. Assez avec les provocateurs !). Qui organise avec soin la criminalisation du mouvement social et sa dépolitisation en entretenant la peur, tout en mentant à visage découvert sur l’utilisation des canons à eau, des LDB40 et des flashballs ? Est-ce celui qui jette le Molotov qui fait le jeu du Fhaine, ou l’ensemble des médias qui ne parle pas des manifestants et journalistes blessés ? Qui a donné un temps d’antenne plus que généreux au nouveau visage du Fhaine sur les radios, sur les plateaux télé, et à ses émissaires intellectuels (Ruquier, c’est pour toi, je sais que tu regrettes mais sérieux, merde) ?

Bien utiliser son énergie

Pourquoi, une fois par an, ou tous les cinq ans, quand vous vous réveillez politiquement, vous dépensez une telle énergie à tenter de nous convaincre de voter Macron ? Parce qu’il me semble que c’est bien la même quantité d’énergie que nous dépensons, tous les jours, dans la rue, les facs, les lieux de travail, le réseau militant, les débats, les textes, le porte à porte. Les responsables d’une victoire du Fhaine, c’est pas ceux qui votent aussi pour lui ? Pourquoi vous ne réorienteriez pas votre énergie à tenter de décourager ce vote là ? Pourquoi tant de verve à vouloir nous faire adopter le candidat qui mènera des politiques si autoritaires et austéritaires qu’il préparera parfaitement le lit de votre ennemi pour celle d’après ? Vous savez bien la faire, cette analyse de la stratégie du Fhaine, du racisme, de l’homophobie et du sexisme. Vous en parlez au déjeuner avec les collègues. Et bien faites plus.

Excusez-nous, pour une fois, nous les énervés du coin, d’être dans la revendication, mais nous nous battons contre le « jeu » du Fhaine. Ne nous insultez pas lorsque toute l’année on lutte sur le terrain contre les dangers que vous conceptualisez une fois par an. Soyez déraisonnables, énervez-vous enfin contre la source du problème. Macron, ta galère sera à la hauteur de notre colère.

L’énervé du coin

Photo : Manifestants le 1er mai 2017 près de la place de la Bastille à Paris. / Photo DR