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Le Coran expliqué en 100 mots par Malek Chebel

Dans son dernier ouvrage publié à titre posthume, Malek Chebel, un des plus importants penseurs de l’islam contemporain, fait le choix de la concision pour traiter des thématiques phares du Coran en 100 mots. Un outil précieux qui réaffirme l’intérêt de la contextualisation, historique et conceptuelle pour comprendre le Coran. Par MAJDA ABDELLAH

À la mort de Malek Chebel en novembre dernier, la presse avait salué « l’universitaire atypique », le « défenseur d’un islam des lumières », « le chantre d’une vision moderniste et éclairée de l’islam » contre l’obscurantisme. L’anthropologue algérien était de ceux dont on entendait la voix à chaque polémique sur l’islam, fervent défenseur d’un aggiornamento, d’une réforme de l’islam. Les Presses Universitaires de France viennent de publier son dernier ouvrage à titre posthume, prolongement de son travail de vulgarisation et de pédagogie autour du texte sacré musulman. Le tout dans la prestigieuse collection de vulgarisation « Que sais-je ? ».

Le format des « 100 mots du Coran » est court et son pari, audacieux : Malek Chebel entend y donner à voir « l’Esprit du Coran » en peu de pages. Si l’effort de vulgarisation est au rendez-vous, le texte ne s’en retrouve pas forcément plus accessible, ses analyses riches, parfois arides, sont truffées de références religieuses. Pourquoi la seule lecture du texte saint des musulmans ne suffit pas ? Quelle place joue la cosmologie ? Qu’en est-il des animaux et des interdits alimentaires, des houris, ces vierges du Paradis, et des Chrétiens ? Comment définir la morale islamique ? À ces interrogations auxquelles on se contente trop souvent de répliquer en avançant mécaniquement tel ou tel verset, tel ou tel hadith, Malek Chebel répond, lui, en prenant de la hauteur, et ses distances avec les fantasmes qui pullulent au sujet de l’Islam. À l’heure où certains se contentent d’une lecture littéraliste, sans aucune analyse générale, il propose de s’extraire de la lettre du Coran pour mieux cerner son message, en prenant soin de ne jamais basculer dans le jugement.

Les échos chrétiens du Coran

Tout au long de l’ouvrage, la méthode est ciselée, concise : « Allah », « Fatiha », « Création », «Idoles », pour chacun des cent termes étudiés sont mentionnés ses apparitions dans le texte sacré, et des arguments de contextualisations, étayés par les affirmations de grands savants musulmans. Malek Chebel donne vie à ces mots en énumérant des histoires qui lui sont associées dans le Coran. Aux références classiques d’Abraham, Hajar et leur fils Ismaël, s’ajoutent alors d’autres histoires populaires dont on apprend comment certaines empruntent aux autres religions monothéistes. La sourate du vendredi, « El Kahf » (la caverne) trouve un écho dans la légende chrétienne des Sept dormants d’Ephèse, parabole sur le temps et la grandeur divine. En faisant ainsi dialoguer les trois grands monothéismes, Malek Chebel éclaire une réalité qu’il est heureux de rappeler : le Coran ne révoque pas les textes saints des religions qui l’ont précédé, mais il s’inscrit dans leur continuité.

Les grands versets cités à tout va aujourd’hui sont mentionnés pour être clarifiés. « Souvenez-vous de moi, je me souviendrai de vous », scandé en rappel aux croyants dans les discussions sur Facebook et WhatsApp, met en lumière la notion de gratitude, centrale dans la morale islamique.

Autre exemple :« Ne dites pas que ceux qui meurent au service de Dieu sont des morts, mais des vivants », le hadith devenu mantra des djihadistes. Il est apparu dans la sourate Al Baqara, proclamée pendant la période où le prophète Mohamed se trouvait à Médine (entre 624 et 632), un temps marqué par les guerres tribales du Hedjaz. Quelques versets plus haut est ainsi affirmé : « Combattez dans le sentier d’Allah ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs ». D’où l’intérêt de l’étude du texte en entier.

Un humanisme béat ?

Peut-être trop concises à certains moments, les définitions souffrent d’un écueil, les rendant comme incomplètes : leur application actuelle n’est quasiment jamais mentionnée. Or une notion, religieuse ou non, n’est jamais immuable. Elle est aussi ce que les hommes décident d’en faire. Sur des points de discorde aussi importants que l’inégalité dans l’héritage entre homme et femme ou l’homosexualité, Malek Chebel ne fournit presqu’aucun élément d’actualisation. Tout au plus nous apprend-il que l’héritage inégalitaire est aujourd’hui contesté, laissant ainsi sans réponse des points qu’aucun Ijtihad (commentaire sur le Coran) n’est pour l’heure parvenue à justifier ou adapter. Au final, l’anthropologue ne s’avance pas sur les sujets les plus polémiques, préférant peut-être le confort de l’éloge humaniste.

En tant qu’anthropologue de l’islam se définissant comme « laïc », Malek Chebel n’a eu de cesse d’expliquer qu’il souhaitait défendre un « islam des Lumières ». Au-delà de la formule médiatique adoptée par les hérauts auto-proclamés de la réforme de l’islam en France, l’idée était de renouer avec une lecture critique du Coran, en réaffirmant la nécessité de l’interpréter pour nourrir le débat, sans crainte ni hypocrisie. Une mission ardue mais pas impossible. Le travail d’Ijtihad a été mené jusqu’au XIe siècle, sa suspension laissant place à l’avènement de quatre écoles de droit musulman qui reproduisent, depuis, une doctrine statique, sans grand intérêt intellectuel.

Ce combat pour le renouveau de la pensée islamique porté par Malek Chebel hier, et d’autres aujourd’hui, est plus que jamais d’utilité publique. Mais autant faut-il pour prétendre refonder l’esprit du Coran, être reconnu crédible par les fidèles, et pas seulement par la presse. Là réside le défi premier des penseurs de l’islam en France.

Majda Abdellah

« Les 100 mots du Coran », Malek Chebel, « Que sais-je ? », PUF, 9 euros, en librairie depuis le 12 avril

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