Après le Paris des modes, nous arrivons au Paris du pouvoir. Non pas celui des maisons de couture qui vous dictent le contenu de vos armoires mais celui des ministères qui règlent vos quotidiens. Ou plutôt, celui de ceux qui aimeraient vous le régler : nos chers candidats à la présidentielle. Par MATHIAS JORDAN
Il est bien aisé de les lier à Paris : ils y ont tous fait un détour à un moment ou un autre, en qualité de député, d’ancien ministre, de haut fonctionnaire, lors d’un meeting. Commençons par leurs habitudes. Rassurez-vous, je n’évoquerai pas le mémorable dîner au Fouquet’s, ni les rumeurs entourant un ex-ministre de l’Économie qui aurait fréquenté assidument les clubs gays avant de visiter l’appartement du directeur de Radio France.
Inutile d’évoquer ce moment où j’ai aperçu Anne Sinclair encore mariée à DSK Place des Vosges, ou cette après-midi d’hiver au café le Bar du Marché, rue de Buci, où un certain Bruno Le Maire s’est assis à côté de moi pour « débriefer » sur l’élection de Trump avec celui qui devait être son conseiller en communication.
En réalité, parler du Paris des candidats par rapport à leur boulangerie favorite ou l’emplacement de leur luxueux appartement ne reviendrait qu’à faire une visite touristico-politique bien peu intéressante. De même, il semble évident qu’ils fassent un détour hebdomadaire à Paris pour être présent sur les plateaux de télévision et dans les studios des radios qui se concentrent dans l’Ouest parisien.
Candidats en campagne
D’autres rendez-vous sont incontournables dans la capitale : le Salon du Livre où nos candidats viennent dédicacer leurs ouvrages et les pavés de leurs pensées et critiques ; ou le Salon de l’agriculture, depuis lequel on vous égrène pendant une semaine des images avec veaux et viticulteurs, œufs et farine sur la tête. Pour y être allé, on ne voit dans les allées qu’un essaim de caméras, un attroupement surmonté de perches poilues qui indiquent la présence d’un politique qui s’enflammera au 20 heures pour la cause animale, pour la protection des agriculteurs désespérés et la réforme de la PAC. Ou mieux : la défense du terroir et de l’identité française.
Car à bien y observer, voilà deux élections que nos politiques et nos candidats vont pêcher leurs voix en dehors de Paris. La capitale reste un incontournable mais n’est pas le symbole de la diversité, de la sécurité, de la France – la vraie. Ils préfèrent sillonner les petites villes, les régions, serrer des mains sur les marchés et remplir des salles à Toulouse ou Caen. Stratégie payante pour Marine Le Pen, avant elle Jacques Chirac. Paris reste une masse informe, voire dangereuse. Le reste du pays est plus intéressant. C’est d’ailleurs là qu’est sans doute la grande faiblesse d’un Emmanuel Macron : trop citadin, trop parisien, trop ministère et pas assez terroir, pas assez valeurs et provincial. Il est trop propret pour les petites villes, trop libéral pour la ruralité.
De la gauche à la gauche caviar
De plus, être ou rester trop à Paris, c’est s’insérer dans le système que l’on critique : l’administration, les bureaux et la haute finance (représentée par les grands patrons et les grandes entreprises à la Défense ou dans le quartier de l’Opéra) et encore plus les partis, ces vieilles bêtes qui, bloquées dans la ville-lumière, se ferment des horizons et se ferment surtout à la province et aux préoccupations des 60 millions de non-franciliens.
Voilà comment on passe par exemple de la gauche à la gauche caviar. Un petit coup de Paris et la couleur change. Il suffit alors de voir l’état des locaux rue de Solférino, un hôtel particulier qui commence vaguement à tomber en ruine au milieu des sublimes ministères du boulevard Saint-Germain et de la rue Saint-Dominique. Je ne peux que vous encourager à les visiter lors des Journées du Patrimoine (les 16 et 17 septembre 2017 – moment culture fait) à défaut d’aller à un meeting gigantesque.
Car enfin Paris, c’est cette populace qui fait peur, mais aussi ce nombre qui rassure. Le chiffre plaît, les grandes foules, les milliers de drapeaux et les discours emportés. Les grandes salles parisiennes restent nécessaires pour l’image de marque des candidats et ces trois secondes de foule en délire dans leurs clips électoraux. Marine Le Pen au Zénith à la Villette, Emmanuel Macron à l’Accor Hotel Arena – en face de son ex-ministère, on ne change pas ses habitudes – ou Benoît Hamon Place de la République : la guerre des chiffres et des images est lancée, à celui qui réunira le plus de sympathisants électrisés.
Les riches à l’ouest
Certains rassemblements restent dans les annales, comme le meeting de Nicolas Sarkozy au Trocadéro en mode carte postale alliant la Tour Eiffel en fond et un tapis bleu-blanc-rouge. Cela révèle surtout une certaine géographie parisienne de la politique au-delà des candidats.
À l’ouest, la droite, celle de la « Manif pour tous », le long des belles avenues léchées du 16e arrondissement, du Trocadéro et du 7e (dont François Fillon est député). En somme, voici l’ouest des riches, des bourgeois, des cinq rangs de perles, des catholiques. À l’est, la gauche : des défilés entre la Nation et la République et la Bastille pour Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon, dans la droite ligne des syndicats et des marches républicaines après les attentats. C’est aussi l’est des ouvriers, des bobos, de l’alternatif et des beaux principes, de la laïcité et des luttes. Chacun y trouve son compte, chacun y trouve ses marques pour espérer finir à l’Elysée, au cœur de notre Paris.
On le fuit, on s’y retrouve. On propose la décentralisation, on rappelle les heures glorieuses de la Commune et des révolutions. On rappelle que Paris reste le lieu de l’ordre et des administrations, le but ultime de cette course. Une de plus qui s’arrêtera bientôt : un seul candidat sera rive droite. Les autres atterriront presque certainement en face, au Palais Bourbon, rive gauche. Lot de consolation ?