Du Pont des Arts au Panthéon, voici le premier volet de notre série d’été consacrée au Paris littéraire. Par MATHIAS JORDAN
La Chute d’Albert Camus débute par un plongeon entendu dans la Seine, depuis le Pont des Arts. Bien avant les cadenas à présent remplacés par du plexiglas, qui en rend l’aspect bien plus romantique — ironie —, ce pont branlant a été un symbole littéraire de notre capitale : reliant le Louvre, ancien siège des académies, à l’Institut de France, nouveau lieu pour cette institution qui nous pond chaque demi-siècle un dictionnaire de référence que personne n’a dans sa bibliothèque.
Dépassons la Coupole de ces joueurs de scrabble professionnels pour nous engouffrer rue Bonaparte, à deux pas, et débuter ainsi notre balade littéraire. Là fleurissent les plaques sur les immeubles. Untel vécu dans tel immeuble entre deux années, ou jusqu’à sa mort. Professeur, académicien, écrivain, auteur tombé dans les poubelles de l’histoire, tous ont leur plaque. À Paris, il y en a tant. La plus pertinente pour cette chronique est sans doute celle de l’apothicaire Buly. Elle nous renseigne qu’elle a été une source d’inspiration pour Honoré de Balzac. Il a en effet tellement bien décrit Paris et sa faune dans sa « Comédie humaine », notamment cette très brillante société des hôtels particuliers du boulevard et du faubourg Saint-Germain.
Apollinaire, Sartre et son castor
L’intelligentsia actuelle croit toujours pouvoir y trouver l’inspiration, non plus sous les lustres dorés des résidences aristos, non plus sur les banquettes chauffées du Café de Flore ou des Deux-Magots, mais à la librairie l’Écume des pages. À seulement dix mètres des fantômes et souvenirs d’Apollinaire, Sartre et son castor, à deux pas des cafés hors de prix, voilà un repaire où croiser le beau monde qui tente de prouver, entre deux étagères de livres, qu’il a un cerveau. S’y montrer et y acheter quelques grammes de papier d’un philosophe ou d’un Goncourt. Il semble aisé d’avoir l’air à la fois intelligent et snob.
« L’Écume des pages ». Voilà un nom qui n’est pas fait pour oublier le roman de ce cher Boris Vian qui faisait swinguer les caveaux de Saint-Germain-des-Prés à côté. Vian a si bien parlé de Paris, creuset de modernité, base de sa créativité, lieu de tous les possibles. À voir certaines tenues lors de la Fashion Week, à voir comment on peut faire rentrer dans un métro bondé poussettes, chaises, table à langer ou parpaing de deux mètres sur quatre, en effet tout est possible.
Bref, reprenons nos pérégrinations, et au lieu de continuer vers l’Assemblée et la Concorde, remontons lentement la pente vers le Jardin du Luxembourg, en passant devant les maisons d’édition qui y pullulent. Du moins, c’est ici que leurs sièges historiques se trouvent, comme on sait que le papier imprimé ne permet plus de faire fortune. Passons devant le mur Rimbaud, à côté de Saint-Sulpice : un mur entier sur lequel est inscrit de droite à gauche Le Bateau Ivre. Moment charmant que de se promener dans la fraîcheur d’un dimanche matin et de voguer en poésie dans cette ruelle.
Du haut de la montagne
On arrive bien vite au Palais du Luxembourg — où les sénateurs se confondent en attitude ou en personne avec les Immortels endormis des bords de Seine. Autour d’eux, libraires-antiquaires aux vitrines rougies par des éditions originales de Jules Verne, aux vitrines noircies à l’encre presque effacée des autographes de nos grands hommes et écrivains. Car il faut bien séparer les deux : un écrivain, lui, est immortel. La preuve en est qu’ils reposent non loin de là, au Panthéon, la Patrie les honorant à jamais. Ils sont au nombre de six à refroidir dans la crypte.
Voltaire et Rousseau se font face dans un duel ad mortem aeternum. Malraux repose sous les pavés où il a accueilli Jean Moulin dans une oraison à faire frémir les générations à venir. Dumas est là, on ne sait trop pourquoi, près de Zola, défenseur de Dreyfus et des principes républicains. Et enfin l’immense Hugo, qui désormais du haut de la Montagne Sainte-Geneviève toise son Paris.
Le Panthéon prend de la place mais n’oublions pas juste à côté la petite église Saint-Etienne-du-Mont, écrasée sous la masse néoclassique de son voisin. Elle abrite les sépultures de Pascal qui continue à disserter sur la montagne des universités, Racine qui a bien pris… racine — j’admets le caractère douteux voire ridicule de ce jeu de mot —, et Perrault, auteur des contes. Que de beau monde ! Habitant non loin, je m’étonne donc de si bien dormir, avec tant de fantômes qui gravitent autour de moi… Ou alors j’en fais partie, je descendrai un jour de ma montagne pour m’habiller de vert et faire ma sieste sous le regard de Mazarin ! Belle ambition, n’est-il pas ?
Mathias Jordan
Parisien
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Illustration : Le Pont des Arts à Paris. | DR