Les mondes les plus différents

Le Parisien, pressé mais passionné

Comment peut-on être déçu par une exposition à Paris ? Il faut croire que seul le vrai Parisien en est capable. Voici comment.
Par MATHIAS JORDAN

Galeries du Grand Palais. Soirée privée organisée par France Télévisions à l’occasion de la sortie du film sur Rodin avec Vincent Lindon. Au programme : visite de l’exposition sur le sculpteur et projection en avant-première. Pour moi ce sera dès l’arrivée la visite sans le film – une critique de cinéma m’a parlé à son sujet d’une « qualité de téléfilm sur France 3 ».

Quelle joie que je découvre en ce mardi soir que ce n’est pas une visite de groupe où l’on doit rester collé à des inconnus et suivre un seul et unique guide. Il n’y a rien de pire qu’un guide quand on n’en souhaite pas, quand il n’apporte rien de plus que ce qui est écrit sur les cartels ou les vagues textes élogieux qui vous proposent d’explorer l’intimité, la psychologie et le génie de l’artiste. Que de nouveautés en effet que sa modernité, ses influences, sa Camille, sa postérité. Je précise que tout ceci est de l’ironie. Tout ce que l’on sait déjà sur Auguste Rodin n’est qu’une fois de plus répété sur les murs du Grand Palais.

J’en profite donc pour sauter les premiers groupes qui s’étiolent au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans cette exposition-fleuve. Arrivé à l’escalier, on souffle devant la Porte de l’Enfer, œuvre que l’on aura par ailleurs déjà apprécié dans ses détails et son histoire avec l’exposition remarquable qui lui était consacrée au musée Rodin ce printemps. Le bilan à mi-parcours se résume par une double déception : le lieu est décevant et les œuvres sont connues.

« Je ne mettrais pas cette œuvre dans mon salon, mais vous peut-être »

Le lieu d’abord – les galeries du Grand Palais – sont connues, mais surtout remarquablement modulables. L’espace immense permet des mises en scène, des décors originaux, qui mettent en valeur des œuvres et les placent dans un contexte. J’ai le souvenir de la monographie sur Jean-Paul Gaultier avec un podium en tapis roulant ou l’exposition Louis Vuitton l’hiver dernier qui nous faisait voyager, partir, rentrer dans un train, à Hollywood. Ou encore, dernièrement le décor moderne et raffiné de l’exposition sur les joyaux des maharadjas. Tout était fait pour sublimer les œuvres, les expliquer, les montrer au-delà de ce qu’elles sont : des pièces connues du public.

La scénographie est ici classique. Ennuyeuse et classique. Une succession de vitrines et de podiums, de ses années de jeunesse à ses commandes publiques et au répertoire de formes que Rodin s’est créé. Puis viennent ses dessins, mis en parallèle avec Klimt et Schiele. D’autres contrastes avec Brancusi ou des artistes modernes. Et une dernière salle sans Rodin mais remplie de sculptures qui font directement écho à l’héritage du sculpteur. En un mot : en quoi Rodin a été et reste le maître de la sculpture et le modèle aujourd’hui encore. C’est donc une juxtaposition d’œuvres pour une démonstration inutile et banale.

Dieu merci, l’accent italien et l’humour de la guide qui aura réussi à me harponner dans la dernière salle – « je ne mettrais pas cette œuvre dans mon salon, mais vous peut-être » – aura égayé cette visite et aura passé en revue d’autres artistes inconnus.

L’esprit parisien

Car Rodin : quelle tarte à la crème ! Pour peu que l’on soit un Parisien branché, on aura visité une fois l’an son musée près des Invalides. Un hôtel particulier remarquable, une collection présentée dans un espace chaleureux, intimiste, ouvert sur le jardin et la verdure. On aura vu les défilés de haute couture dans ces jardins, loin des énièmes reproductions du Penseur ou du Balzac.
Ses œuvres nous sont tellement familières que l’on viendrait à penser que cette exposition « incontournable » est destinée… aux touristes et aux Provinciaux. Pensée hautement snob et méprisante. Pensée parisienne. J’assume.

Le Parisien blasé, voilà celui qui écrit. Celui qui mange de l’exposition, qui en dévore et qui a besoin de nouveauté. Quelle idée de faire une exposition sur un artiste dont il existe déjà un musée agréable et complet ? De même, pourquoi devoir faire une exposition ou une manifestation à l’occasion de chaque date anniversaire de mort ou de naissance ? Le Parisien est pressé, mais passionné. À l’affut de la nouveauté, il cherche un regard neuf qui casserait sa routine métro-boulot-dodo. Le Parisien veut du scandale, du choquant, du brillant. (On en viendrait presque à croire que je fréquente le Palais de Tokyo, mais détrompez-vous…)

Relisez mes chroniques précédentes (en plus de celles des autres auteurs) : la mode, les modes, le temps, le voyage – autant de traits propres à l’esprit parisien et à la course au jamais-vu qui a fait et fait toujours de Paris le point de départ des tendances.

On souffle, me voilà enfin arrivé au vestiaire. Trop de Rodin d’un coup, le monstre nous aura écrasés sans le baume de douceur de l’hôtel particulier qui abrite son musée. On en vient à apprécier et être toujours réenchantés par ces ateliers et résidences plus humains devenus des musées et dispersés dans Paris : le musée Gustave Moreau avec ses murs recouverts de tableaux et son escalier en colimaçon, la maison de Victor Hugo donnant sur la Place des Vosges, le petit musée Delacroix et son jardin salvateur au cœur de Saint-Germain-des-Prés, le très exotique musée Jean-Jacques Henner dans la plaine Monceau et même le havre de paix en plein cœur de la folie de Pompidou qu’est l’atelier Brancusi – une perle de pureté, de simplicité, de dépouillement et de calme. Fuir les sentiers battus, fuir les queues interminables coincé entre deux grands-mères… Si vous êtes Parisiens, cela vous parlera. Si vous ne l’êtes pas, sentez-vous à juste titre offensés – du Parigot je renforce les mauvais clichés. 

Mathias Jordan

Illustration : Le Baiser, Auguste Rodin, à Copenhague | Wikimedia Commons

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