Les mondes les plus différents

Pourquoi la primaire prendra sa revanche

« La primaire nous a tués », déclarait François Baroin le 7 juin dernier. Une analyse des plus fausses car elle tient la primaire pour une cause de la défaite des LR, alors qu’elle n’est que la conséquence d’une crise plus profonde et durable de la droite. Par ROMAIN MILLARD

Si la débandade du Parti socialiste à la présidentielle et aux législatives était attendue du fait de l’échec du quinquennat Hollande, la défaite des Républicains-UDI était autrement plus imprévue. Pour justifier la défaite de ces deux grands partis de gouvernement, nombreux sont ceux qui blâment les primaires ouvertes.

Aux contempteurs de la primaire, il convient de répondre à la manière du Cyrano d’Edmond Rostand : « Ah ! Non ! C’est un peu court, jeune homme ! On pouvait dire… oh ! Dieu ! … bien des choses en somme… »

Pourquoi la primaire ouverte de la droite et du centre a été rendue nécessaire

Les primaires ouvertes ont été organisées pour trois raisons principales. D’abord une raison qualifiable d’« exogène », indépendante de LR. La montée en puissance du Front National à partir des élections cantonales de 2011 ayant transformé le paysage politique en un jeu à trois (droite-extrême droite-gauches), il devenait arithmétiquement vital pour la droite et le centre d’envoyer un candidat unique au premier tour de l’élection présidentielle pour espérer la qualification au second tour face à Marine Le Pen. Par ailleurs, le Parti socialiste avait fait jurisprudence en 2011 en organisant une primaire ouverte qui avait réuni 2,8 millions d’électeurs et désigné celui qui allait effectivement devenir le nouveau Président, François Hollande.

Une deuxième raison qualifiable « d’endogène » liée à LR, et de « conjoncturelle » dépendant de la situation de l’époque : la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 avait ouvert un telle querelle d’idées et une telle guerre des chefs que personne ne pouvait prétendre gagner de manière écrasante. La perspective d’une alternance quasi assurée en 2017 avait poussé des profils autrefois complémentaires à s’émanciper et à se concurrencer.

Une troisième raison qualifiable « d’endogène » et de « structurelle », sur le long terme : subissant la même tendance que les grands partis de gouvernement occidentaux, l’UMP (puis LR) a vu son attractivité s’affaiblir considérablement au profit de mouvements extérieurs centrés sur des causes (La Manif pour Tous, les Pigeons) ou sur des individualités (Force Républicaine pro-Fillon, AJ pour la France pro-Juppé, etc.). Réserver l’organisation et le droit de vote aux seuls encartés LR, de moins en moins représentatifs du corps électoral global, aurait privé les candidats de garanties contre les fraudes, aurait privé le scrutin d’une véritable audience médiatique, et privé le vainqueur d’une large assise électorale.

Pourquoi la primaire ouverte est le pire système, à l’exception de tous les autres

Certes, la primaire ouverte présente de nombreux inconvénients.

Premièrement, elle peut donner aux militants – en nombre décroissant – le sentiment d’avoir payé leur cotisation pour rien, et de se faire imposer un candidat par des électeurs parfois extérieurs à la famille politique. Secondement, les débats internes exposés au grand jour entre les différents candidats fournissent aux autres familles politiques des arguments qu’elles peuvent par la suite opposer au vainqueur de la primaire.

Toutefois, ces inconvénients persisteraient sans la primaire ouverte.

D’une part, les militants de partis politiques seraient encore plus aigris si, faute de processus de sélection efficace, ils voyaient plusieurs candidats s’auto-neutraliser au premier tour de l’élection présidentielle et ne pas passer le cap du second tour, ou bien s’ils envoyaient un candidat si clivant et radical qu’il n’aurait aucune chance de rassembler une majorité de Français sur son nom.

D’autre part, les débats internes à une même famille politique existent et sont connus de tous, qu’il y ait primaire ou pas. La primaire de la droite de 2016 aura au moins vu se dérouler dans tous les médias et sur une longue période des débats sur les thématiques prioritaires, sur les moyens et les objectifs des politiques publiques, d’une qualité bien supérieure à ce qu’ont pu laisser transparaître les seules joutes télévisées, elles-mêmes d’une tenue très correcte au demeurant.

Enfin, aucune autre alternative ne permet d’espérer l’union autour d’un chef et l’élargissement de la base électorale. La désignation du chef par un bureau politique à huit clos est une éventualité totalement inadaptée à l’heure où les exigences de transparence et de participation sont plus fortes que jamais. De même, les élections internes par les seuls militants se réalisent sur une base électorale déclinante, dans des conditions logistiques où le soupçon de fraude est persistant, et dans un climat où la radicalité des discours peut très facilement prendre le pas sur la raison.

Pourquoi la primaire de la droite et du centre a été un succès

À rebours de ce que prétendent aujourd’hui les contempteurs de droite de la primaire ouverte, la primaire organisée les 21 et 28 novembre 2016 a été un succès sur tous les plans. Sur le plan logistique : mobilisant plusieurs dizaines de milliers de bénévoles sur tout le territoire, son résultat n’a souffert d’aucune contestation, et la participation payante a permis de récolter 9 millions d’euros à l’intention du camp majoritaire.

Sur le plan de la participation, bien au-delà de toutes les espérances, la primaire a rassemblé environ 4,5 millions d’électeurs par tour, offrant une immense assise électorale au vainqueur pour aller convaincre le reste du pays dans la perspective de la présidentielle. Par ailleurs, les quatre débats télévisés ont été très largement suivis, plaçant les idées de la droite et du centre au coeur de l’actualité médiatique pendant tout un trimestre.

Sur le plan de l’attitude des candidats défaits, François Fillon a reçu le soutien des sarkozystes et des lemairistes dès le soir du premier tour. Après une campagne d’entre-deux-tours incisive mais courtoise, Alain Juppé a reconnu sa défaite nette et a apporté son soutien à François Fillon, qui a passé tout le mois de décembre à intégrer au sein de son équipe de campagne des proches de tous les candidats.

Le 14 décembre 2016, un sondage Ipsos-Sopra Steria pour le Cevipof et le Monde promettait une victoire de François Fillon au premier tour (26 %-29 %) devant Marine Le Pen (24 %-25 %), très loin devant Emmanuel Macron (13%).

Si les résultats d’avril-mai 2017 ont été totalement différents, il ne faut donc pas en blâmer la primaire ouverte qui a rempli son office au-delà de toute mesure : permettre à une famille politique divisée de désigner au suffrage universel direct un candidat unique pour mener la campagne présidentielle sur un projet clair, et d’intégrer à cette campagne les représentants des sensibilités défaites lors de la primaire.

Si la droite française a perdu les élections de 2017 qui s’annonçaient imperdables, elle n’a pas perdu à cause de la primaire. Bien au contraire, elle aurait dû gagner grâce à la primaire, et a perdu malgré la primaire. Prétendre le contraire reviendrait à vouloir en faire un bouc-émissaire facile alors que les causes de la défaite sont à aller chercher ailleurs…

Pourquoi les primaires ouvertes reviendront

À terme, une primaire ouverte devient nécessaire pour une famille politique lorsqu’elle cesse de remplir deux conditions : être unie autour d’un chef incontesté, et avoir une assise électorale susceptible d’être majoritaire, à elle seule ou avec des alliés.

La droite a cessé de remplir la première condition en 2012 à la défaite de Nicolas Sarkozy, et a cessé de remplir la seconde à partir de 2014 lorsqu’a émergé le tripartisme sous les coups de boutoir du Front National.

Rien n’indique qu’elle puisse à nouveau remplir ces conditions à court et moyen terme. Elle est plus divisée que jamais sur les idées et sur les personnes, à tel point que Xavier Bertrand déclare, de guerre lasse, « nous n’avons plus grand chose à faire ensemble ». Elle a vu son assise électorale largement entamée par Emmanuel Macron et ne représente plus qu’un cinquième des citoyens, à égalité avec « La République En Marche », le Front National et la France Insoumise.

Sauf à faire émerger miraculeusement un chef incontesté et élargir considérablement sa base électorale, la droite aura à nouveau besoin de primaires ouvertes. À moins qu’elle ne se résigne à faire de la figuration au premier tour des élections, sans espérer accéder au second… Dans un tel cas de figure, ses adversaires pourront aisément la prévenir tel Cyrano avant de remporter un duel à l’épée : « À la fin de l’envoi, je touche. » 

Romain Millard

Illustration : Débat de la primaire de la droite et du centre. | Capture d’écran Public Sénat

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