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Protestants et catholiques : le débat sans fin

Un catholique et un protestant dialoguent dans un livre paru au mois de mars. On y découvre que ce qui les opposait à l’époque des guerres de Religion n’est plus ce qui les sépare aujourd’hui. Par RAPHAËL GEORGY

Après 500 ans de conflits, de massacres et de débats houleux, quel pouvait bien être le ton d’un livre de dialogues entre un protestant et un catholique ? À voir les cinq cent ans qui nous séparent exactement de l’acte fondateur du protestantisme, à savoir la publication des « thèses » de Martin Luther (1483-1546) en Allemagne, un échange dépassionné et constructif n’avait rien d’évident. Le 24 août 1572, 3000 protestants furent massacrés au cœur de Paris le soir de la Saint-Barthélemy et leurs corps jetés dans la Seine. Il n’y avait, jusqu’à avril 2016, aucune place commémorative de la Saint-Barthélemy. Côté catholique, il n’y a vraisemblablement pas de plaque commémorant les catholiques assassinés, victimes d’une fureur qui s’était emparée des deux partis. Et puis il reste des terres protestantes, dans l’Est et le Sud de la France, où le signe de croix rappelle encore aujourd’hui celui que les catholiques faisaient sur les protestants qui venaient d’abjurer leur foi, sous la contrainte. Un bien curieux passé en héritage…

Pourtant, un journaliste du quotidien La Croix a récemment réuni un protestant, François Clavairoly, président de la plus haute institution protestante – la Fédération protestante de France -, et un catholique, Michel Kubler, prêtre et théologien catholique, pour une explication.

Désaccords profonds

En la matière, les deux protagonistes ont beau être portés vers l’oecuménisme et le rapprochement entre les deux confessions, il reste bien des points cruciaux qui séparent radicalement catholiques et protestants. Bien que ce qui les opposait au XVIème siècle n’est plus forcément ce qui les divise aujourd’hui.

La querelle est d’abord théologique et profonde. Les protestants ne reconnaissent aucune autre autorité que la Bible pour interpréter celle-ci, là où les catholiques ne veulent pas que l’interprétation des Ecritures soit laissée à la libre interprétation des fidèles. Dans ce cas, l’Eglise catholique exerce un magistère qui joue le rôle d’intermédiaire pour s’assurer d’une « bonne » interprétation de la Bible. Cela veut-il dire que les protestants interprèteraient seuls dans leur coin les textes sacrés ? Pas du tout, car le protestantisme accorde une importance à l’échelon local et à la paroisse qui est censé être un lieu de débat sur l’interprétation de la Bible, pour éviter toute lecture littérale ou fondamentaliste de la Bible.

Pour les descendants de la « religion prétendue réformée », comme disaient les catholiques, pas question de reconnaître quelqu’un comme « saint », alors que les catholiques ont pléthore de gens désignés comme des modèles de conduite, ou parce qu’ils furent des martyrs. Mais pour les protestants, Dieu seul est saint. Par conséquent, c’est lui qui choisit « ceux qui lui appartiennent ». Ils mettent en avant que l’Église catholique romaine s’arroge à tort le droit de labelliser un ou une femme comme saint, ce qui a revient à valoriser l’Église elle-même : en désignant les saints, elle se place comme seule juge, ce qui la rend incontournable et « universelle », le sens du mot « catholique ». Une légitimité que les catholiques justifient par le fait que le Christ lui-même lui a donné cette mission. De leur côté, les protestants considèrent cette idée comme une extrapolation qui n’est pas contenue dans la Bible, mais seulement une interprétation large du verset « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16.13). Et les protestants ne plaisantent pas sur la rigueur de l’interprétation…

Manger Dieu ?

Le sens de l’eucharistie ou sainte cène, rituel au cours duquel on commémore ou réitère le sacrifice du Christ sur la croix. Pour les catholiques, le pain et le vin, sous l’effet de la parole du prêtre, deviennent réellement corps et sang du Christ – c’est la transsubstantiation. Alors que les protestants calvinistes (héritiers de Jean Calvin) considèrent la cène comme uniquement une commémoration, sans aucune transformation du pain et du vin. On trouvera une voie médiane chez les protestants luthériens, où le pain et le vin adoptent une double nature, à la fois pain et vin, et en même temps – comme dirait l’autre – corps et sang du Christ. C’est la consubstantiation.

Le désaccord est aussi particulièrement profond sur la place du religieux dans la sphère politique. Là où, chez les catholiques, le pape incarne cette fusion entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique, les protestants séparent radicalement, depuis Martin Luther, le pouvoir spirituel du pouvoir temporel, la religion et la politique. Un pasteur luthérien me disait récemment à propos de la loi Taubira sur le mariage homosexuel : « Que je sois pour ou contre, je respecte ».

Cette semblant de libéralisme se retrouve dans la conception de la morale. Les protestants mettent l’accent sur l’éthique, une attitude sans réponse toute faite pour chaque situation, alors que les catholiques mettent un point d’honneur à l’autorité des règles édictées par l’Eglise. Une nuance qui implique que là où les catholiques entendent par exemple « Tu ne tueras point », les protestants comprennent « Tu es appelé à ne pas tuer ». Et ce dans tous les domaines de la morale. Le protestantisme ne remet donc pas en cause les règles, mais les tabous.

Rapprochement

Mais ce dont on s’aperçoit à la lecture de ce livre, c’est que les questions qui divisaient à l’époque ne sont plus celles qui divisent aujourd’hui. Un lourd passé de guerres civiles et de tensions pendant plusieurs siècles, avec un anticléricalisme très fort au moins jusqu’au début du XXème siècle de la part des protestants, et un antiprotestantisme assumé par des intellectuels à la toute fin du XIXème siècle. Pourtant, les deux interlocuteurs reconnaissent volontiers une responsabilité historique, en particulier au XVIème siècle, « de part et d’autre ». Sur ce point les deux sont d’accord. Cela va mieux en le disant.

Mais l’œcuménisme a produit des rapprochements spectaculaires, par exemple de l’Église catholique. En 1999, celle-ci a reconnu que le salut relevait uniquement de la foi. Alors qu’elle considérait jusque là qu’il s’obtenait par la foi et par les oeuvres, les bonnes actions. Pour les protestants, qui dénonçaient le fait de pouvoir payer l’Eglise pour obtenir le salut grâce à des « indulgences », était inacceptable. L’Église catholique a donc signé en 1999 l’une des affirmations majeures des réformateurs du XVIème siècle.

Au terme d’un dialogue riche et construit en autant de chapitres courts, le lecteur comprend parfaitement ce que sont les positions catholiques et protestantes « moyennes », car les uns et les autres sont composés de courants très divers et même contradictoires. Mais les deux interlocuteurs ont été bien choisis et mènent un dialogue constructif, mais sans concession sur ce qui les sépare. Mais au fond, que peut-on espérer de mieux que les deux confessions continuent à dialoguer ? Entre la guerre civile (voir illustration ci-dessus) et la conversation amicale, on oublie parfois combien de progrès ont été faits. Avec cette vérité que 2017 marque le cinquième centenaire de la Réforme protestante, mais le premier vécu en commun, par tous les chrétiens.

Raphaël Georgy

« Protestants et catholiques. Ce qui nous sépare encore », Loup Besmond de Senneville, François Clavairoly, Michel Kubler, Bayard Editions, mars 2017

Illustration : Massacre de la Saint-Barthélemy, peint par François Dubois. Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne | Wikimedia Commons

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