Les mondes les plus différents

Qu’est-ce que l’économie ?

Pour ce premier article, j’aimerais attirer l’attention sur une controverse qui divise les économistes depuis plusieurs décennies : l’économie est-elle une science exacte ? Par GUILLAUME KREMER

A en croire Pierre Cahuc et André Zylberbeg1, la question ne se poserait même pas et tous ceux qui prétendraient que non seraient dans l’erreur. Leur thèse repose sur le fait que depuis peu, l’économie serait devenue une science expérimentale permettant, comme la physique ou encore la biologie, de tester empiriquement des hypothèses et de trancher certains vieux débats de politique économique (les effets d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi, ceux d’une hausse des prix sur la demande, etc.).

Cette révolution scientifique aurait été rendue possible par le développement de nouvelles méthodes fondée sur la mise en situation d’agents économiques, l’observation de leurs comportements et un traitement statistique des données obtenues. Ces expériences peuvent s’effectuer soit en laboratoire lorsqu’on s’intéresse à des phénomènes à l’échelle des individus, soit naturellement en cherchant à analyser des phénomènes plus globaux.

Ces expériences sont censées garantir le caractère scientifique de la discipline économique. En effet, selon Karl Popper, une discipline n’est une science que si elle peut être falsifiée. Des théories sont proposées et des expérimentations permettent de les confirmer ou de les infirmer. Dans le premier cas, elles renforcent la confiance qu’on peut accorder à la théorie. Dans le second, elles poussent à la remettre en cause, ou tout du moins à s’interroger sur ses hypothèses sous-jacentes. En cela, l’expérimentation économique fait de l’économie une science, mais pas une science exacte : elle reste une science sociale, et ceci vient considérablement nuancer les propos de Pierre Cahuc et André Zylberberg.

Multiples méthodes

En tant que science sociale, l’économie ne permet pas de théoriser un système complexe qui pourrait rendre compte des différences entre plusieurs pays et plusieurs époques. Pour qu’une expérimentation soit véritablement valide, il faut qu’elle soit menée plusieurs fois de suite dans les mêmes conditions et qu’elle permette de prendre en compte l’ensemble des variables agissant sur le phénomène étudié. Or, l’économie s’intéresse à des comportements humains complexes. Que ce soit en laboratoire ou en expérimentation naturelle, elle ne peut raisonner toutes choses égales par ailleurs. Deux individus différents ne réagiront jamais exactement de la même façon pour les mêmes motifs à une mise en situation. Deux pays ne sont jamais totalement comparables de par leur histoire, leurs institutions ou encore les normes sociales qui les caractérisent.

Dès lors, on ne peut pas affirmer que les méthodes expérimentales ont fait de l’économie une science exacte où tout débat serait malvenu. Elles sont un outil parmi d’autres, permettant de mieux comprendre certains phénomènes, mais pas une fin en soi. C’est pour cela que l’économie demeure une science sociale où plusieurs théories – et donc des recommandations politiques différentes – peuvent être valides simultanément sans que l’on puisse véritablement les départager.

Contrairement à ce qu’avancent Cahuc et Zylberberg, les débats en économie sont souhaitables. La multiplication des méthodes utilisées et l’ouverture à d’autres disciplines, telles que l’anthropologie, la psychologie, la sociologie ou encore l’histoire, sont nécessaires afin de prendre en compte toutes les dimensions des phénomènes étudiés. Mes prochains articles seront basés sur cette idée centrale. J’essaierai systématiquement de proposer plusieurs points de vue possibles sur différents thèmes, en invitant le lecteur à ne pas s’arrêter à la pure dimension économique des phénomènes traités et à rester critique par rapport à ce qui sera écrit. La revue Pierre, de par la diversité de ses contributeurs et de leurs approches, me semble coïncider parfaitement avec cette posture.

Guillaume Kremer

(1) Cahuc, P. & Zylberbeg, A. (2016), Le négationnisme économique, Flammarion

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