Les mondes les plus différents

Simone de Beauvoir, l’esprit du féminisme

CHRONIQUE • LA PIERRE D’UNE SOCIALISTE — Simone de Beauvoir est l’une de nos plus grandes figures littéraires et féministes du XXème siècle. Elle s’est engagée pour l’émancipation des femmes, malgré des critiques d’une extrême violence. Par ALICE RENAULT

À entendre ses détracteurs, sa liaison avec Sartre aurait éclipsé sa pensée, comme si elle n’était rien sans son compagnon. Ne fut-elle pas surnommée « la Grande Sartreuse » ou « Notre-Dame-de-Sarte » ? Cela illustre bien l’esprit de l’époque, qui existe malheureusement toujours aujourd’hui ça et là, selon lequel une femme ne peut pas penser par elle-même.

Le milieu social bourgeois de Simone de Beauvoir ne la destinait pas à marquer autant son siècle. Les femmes de ce milieu étaient souvent cantonnées dans la seule sphère familiale et privée. Elle fréquente le « cours Désirs » avec d’autres jeunes femmes de « bonnes familles ». Mais la faillite de son grand-père durant la Première Guerre mondiale, qui dût supprimer la dote à sa mère, plongea sa famille dans l’incertitude. Elle comprend alors qu’elle doit travailler pour vivre, ce qui n’est ni courant, ni bien vu pour une femme de son milieu à l’époque où la plupart d’entre elles restait à la maison.

C’est par ses autobiographies que j’ai découvert, adolescente, cette exceptionnelle intellectuelle. Peut-être sont-ils plus faciles à lire que ses essais : on se projette plus aisément dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, quand on est jeune. Mais l’on finit toujours par ouvrir Le Deuxième sexe.

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. | DR

Un livre qui bouleversa des générations de féministes

« On ne naît pas femme : on le devient ». Une phrase qui peut paraître réductrice et pourtant, elle marque les esprits. Elle est extraite du deuxième tome du Deuxième sexe, un essai qui marqua des générations de féministes jusque de l’autre côté de l’Atlantique. Elle s’oppose à l’essentialisme, qui voudrait que les femmes soient par essence différentes des hommes.

Elle rappelle que nos choix vont déterminer ce que nous devenons. Les rôles et les actions ne sont pas genrées par nature. Ils peuvent seulement le devenir par nos actions ou la pression sociale de nos proches.

Dans le Deuxième sexe, elle évoque publiquement des sujets tabous à l’époque, comme l’avortement ou le lesbianisme. En 1949, lorsque le Deuxième sexe paraît, plusieurs de ses romans ont déjà été publiés comme L’Invitée ou Le Sang des autres. Il va susciter de vives critiques dès la parution des premiers extraits dans la revue Les Temps modernes, qu’elle a fondée avec son compagnon Jean-Paul Sartre.

Simone de Beauvoir à son bureau en 1953. | DR

Échos pour aujourd’hui

Le Vatican met son livre à l’index. Simone de Beauvoir est vilipendée par une grande partie de la presse, certains allant jusqu’à y voir de la pornographie. François Mauriac dit sur le ton du reproche à un collaborateur des Temps modernes : « J’ai tout appris sur le vagin de votre patronne ». Albert Camus, de son côté, l’accuse de ridiculiser le mâle français.

En réalité, toutes ces critiques démontrent qu’elle vient de toucher un point sensible de la société française, celle de la domination masculine, hétérosexuelle et patriarcale, qui n’avait jamais été remise en question de manière aussi frontale.

Après la publication du Deuxième sexe, elle participe à plusieurs combats pour l’émancipation des femmes. Elle rédige en 1971 le Manifeste des 343, qui sera publié dans le Nouvel Observateur, où 343 femmes célèbres reconnaissent avoir déjà avorté, et qui fait grand bruit.

Simone de Beauvoir contribue à rien de moins qu’à la libération des femmes avec des mots qui nous parlent encore aujourd’hui. Comme si le combat féministe n’avait pas de fin :

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »  

Alice Renault 

Militante socialiste

Illustration : Simone de Beauvoir. | Jack Nisberg/DR

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