Les mondes les plus différents

Soupirs heureux pour époque médiocre

Benoit Duteurtre, un mécontemporain de la même famille d’esprit que Péguy, Finkielkraut ou Muray ? En quinze chapitres, le journaliste à l’hebdomadaire Marianne et critique musical signe là un livre d’époque d’une insolence aussi réjouissante que nécessaire. Par DELPHINE ALLAIRE

Armé d’une cohorte d’anecdotes, d’impressions et de souvenirs, l’écrivain s’attaque d’entrée à l’abus de position dominante de la langue anglaise face à l’allemand, l’italien et le français, pourtant celles des fondateurs de la communauté européenne : « L’Union européenne est la seule entité mondiale à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne », déplore-t-il visant également le « franglais » qui ravage la classe adolescente. Et pas que.

Sous les projecteurs, le bonheur

Dans une société où prospère un « homo festivus » américanisé, le champ politique n’est pas épargné. « Le jeu politique », devrait-on dire. Car selon l’écrivain, ce à quoi s’adonnent nos édiles relève naturellement du spectacle… La primaire de la droite et du centre et celle des socialistes s’apparentant ainsi à une version politique de « Qui veut gagner des millions ? », assortie de « gros plans sur les visages, gouttes de sueur et musique tonitruante », estime le journaliste.


Appliquer aux élections les lois de la consommation, à l’opinion la programmation des indignations. Dans « Orphée aux enfers », opéra-bouffe d’Offenbach, le personnage qui mène la danse s’appelle « L’Opinion publique ». « Tout au long de la pièce, il dit ce qu’il faut penser, sans qu’on sache d’où lui viennent ces certitudes », explique Benoit Duteurtre à propos d’une opinion à la remorque du temps médiatique sur maints sujets d’actualité.

Nouvelle vertu cardinale de notre époque, la transparence se fait alors sœur de la police des mœurs. L’essayiste convoque ici Ségolène Royal qui déclarait que « le secret comme source de bonheur est une idée qui a vécu » dans une interview à Libération en janvier 2001. Quant aux intellectuels fuyant à dessein les médias, les voilà perçus comme « arrogants et vaniteux ». Rester dans l’ombre n’est moralement plus permis car plus compris.

L’ère du « low cost »

Benoit Duteurtre se livre aussi avec humour à une critique de la vie quotidienne, et plus précisément de la vie parisienne et ses nuisances municipales. Au premier rang desquelles, les rassemblements festifs-sportifs-collectifs en tous genres organisés à tour de bras par la Mairie de Paris, « tout ce qu’un citadin devrait s’inventer lui-même au gré des rues »… Mais aussi la terrible dialectique pollution-circulation, la tragi-comédie des « cadenas d’amour », la déliquescence des théâtres d’opérettes au profit de « fabriques culturelles sur les pratiques amateurs » et autres réjouissances. « L’animation a remplacé l’art », argue-t-il.

Malgré des apparences trompeuses, Benoit Duteurtre ne plonge pas dans les abîmes de la nostalgie. Égrenant des plaisirs disparus tels que ceux des lignes de téléphone fixe aux indéniables qualités sonores, des théâtres de boulevard ou des hôtels sans climatisation bruyante, cet amoureux de la polémique tient simplement à s’arrêter sur certaines évolutions qu’il juge fâcheuses.

Dans son avant-propos, Benoit Duteurtre prévient d’ailleurs n’avoir rien contre l’idée de progrès. Inviter à peser le pour et le contre de chaque « bond en avant » n’équivaut pas à réfuter leur existence. En ce sens, ces mots de George Orwell prolongeraient assez bien la pensée de l’écrivain : « Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il nous rend plus ou moins humain ».

Delphine Allaire

« Pourquoi je préfère rester chez moi », Benoit Duteurtre, Fayard, 217 pages, mars 2017

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