Les mondes les plus différents

Un Américain à Paris

Que pense un Américain quand il débarque en France aujourd’hui ? Pour Christopher, Américain étudiant à Paris, le caractère français relève d’abord de l’esprit. Par CHRISTOPHER HUFFAKER

Quand j’ai commencé cet article, mon idée était d’expliquer ma théorie bancale sur la différence entre la politique américaine et la politique française. Ce que je trouve le plus remarquable dans le caractère des Français, c’est l’engagement politique, bien que la politique française soit moins intrusive qu’aux États-Unis. Les Français discutent plus souvent politique et la rapportent plus facilement à leur vie quotidienne. Mais en même temps, les décisions des hommes politiques n’ont pas un impact aussi puissant et instrusif qu’en Amérique. Il arrive que je surprenne mes collègues de travail discuter de la situation d’ouvriers autour d’un café. Mais Marine Le Pen ne convainc pas en passant ses journées dans les cafés parisiens.

Néanmoins, j’ai dû me rendre à l’évidence que la théorie ci-dessus ne répondait pas exactement au sujet posé, à savoir la vie d’un Américain à Paris. Et vous dire que j’ai utilisé la formule « An American in Paris » (le titre d’une célèbre comédie musicale) dans ma bio sur Tinder (une application de rencontres) pendant quelques mois, n’y répond pas davantage. Il faut que je vous présente ce qui me semble être la leçon centrale de mon expérience en France : la politique française a quelque chose de virtuel, d’irréel, selon moi. Paris, après y avoir vécu pendant sept mois, ne me semble toujours pas exister réellement. Cette ville n’a jamais cessé d’être un conte de fée, dans mon esprit.

Personnages de roman

La politique française n’est pas encore pour moi une chose de la vie quotidienne. Je garde une distance, peut-être pour mieux la comprendre. Le premier reportage que j’ai fait ici portait sur le comité des soutiens de Donald Trump en France avant l’élection américaine. Puis en janvier et février, j’ai rencontré plusieurs heures les monarchistes français à Paris, y compris ceux qui avaient des opinions choquantes, certaines antisémites. Et plus récemment, j’ai écris un article sur le Front National et ses sympathisants juifs.

Je suis journaliste politique, alors je m’efforce de ne pas prendre parti. Si j’avais vu tout cela aux États-Unis, je n’en aurais pas cru mes yeux et je n’aurais pas pu rester aussi distant. Mais en France, rien ne m’atteint, car les choses qui me surprennent le plus me semblent relever de la fiction ou du roman.

Je crois, en plus, que cela ne tient pas seulement au fait que la France n’est pas mon pays. L’Angleterre ne l’est pas plus, mais quand j’y ai vécu, je me suis senti concerné par la politique. En réalité, je pense que la raison en est celle-ci : la politique française, pour moi, est trop liée à l’histoire de France, et surtout à la littérature française. Quand je rencontre un Français engagé politiquement, je fais moins le lien avec l’histoire récente qu’avec Stendhal. Un jeune soutien français de Trump me fait d’abord penser au personnage de Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme, essayant de s’engager dans l’armée napoléonienne pour des raisons purement romanesques et héroïques, plutôt que le xénophobe qu’il pourrait être en réalité. Je sais bien que ce jeune homme n’est pas un personnage de roman. Mais je n’en suis jamais entièrement sûr.

Il en va de même avec la gastronomie, les rues de Paris ou les peintures de David au Louvre. Mais avec la politique, cela me surprend toujours.

La France dans un verre de vin

J’espère ne pas paraître trop insensible aux choses. Je sais que la politique a des effets concrets sur la vie des gens. Mais la distance qui me sépare de la politique française n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela me permet de comprendre les opinions de tout le monde, et puis, comme toujours, je considère mes partis pris, et j’essaie de décrire honnêtement et clairement les faits.

Je me demande si, après des années à Paris, je deviendrais réceptif, si finalement je serais capable de goûter un morceau de fromage et y penser clairement. Ce n’est pas encore le cas : le goût du fromage est encore influencé par la manière dont une amie américaine, qui a vécu à Clermont-Ferrand, m’a décrit ce goût. Je dois dire qu’elle adore le fromage français et le distingue nettement du fromage américain. Suis-je d’accord avec elle ou le serai-je bientôt ? Je n’en sais rien.

Le sommelier le plus orgueilleux ne pourrait pas nier le rôle du nom et du passé d’un vin pour juger de sa qualité aujourd’hui. Pour moi, c’est comme si toute la France était un Château Cheval Blanc 1947. Il est bon de ne pas oublier son histoire, mais n’allons-nous pas trop loin ? Le vin est peut-être bouchonné, mais personne n’ose l’avouer.

Après sept mois en France, je ne sais pas encore si j’apprécie Paris.
Mais pour sûr, j’aime l’idée de Paris.

Christopher Huffaker

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